Évaluation de l’activité des Maladies de Crohn

L’activité clinique est essentielle mais insuffisante pour évaluer l’activité des MC et la sévérité d’une poussée

L’activité de la maladie de Crohn (MC) est habituellement une mesure clinique évaluée selon 2 scores

  • le score CDAI (Crohn Disease Activity Index) est le plus utilisé dans les essais cliniques mais son calcul reste compliqué en pratique quotidienne
  • l’indice de Harvey-Bradshaw (HBI) est étroitement corrélé au CDAI et son utilisation plus facile que le CDAI en pratique quotidienne

Les limites de ces mesures essentiellement cliniques ont été illustrées par le fort taux de réponses constaté dans les groupes placebo des récents essais cliniques de biothérapie : rémission clinique mais lésions endoscopiques persistantes ou, inversement, troubles fonctionnels intestinaux majorant les scores cliniques. La cicatrisation muqueuse est maintenant un objectif thérapeutique dans la MC.

D’autres critères biologiques, endoscopiques et d’imagerie sont nécessaires.

Les critères biologiques

  • La mesure de la CRP ultrasensible est bien corrélée à l’activité de la maladie mais reste négative chez 25 % des MC actives
  • La calprotectine fécale représente un outil de mesure non invasif du niveau d’inflammation intestinale et présente également une valeur prédictive positive très élevée (> 90 %) pour l’activité endoscopique de la maladie

La calprotectine fécale est le marqueur le plus performant pour mesurer l’activité des MICI et permet de distinguer une maladie active d’une maladie quiescente avec un seuil optimal de 250 μg/g de selle.

L’élévation de la CRP ou de la calprotectine fécale chez un patient en rémission clinique est prédictif d’une rechute dans les mois à venir (3 mois pour la CRP, 6 mois pour la calprotectine).

Lors d’un traitement par biothérapie, la surveillance régulière de la CRP et de la calprotectine fécales est intéressante pour prédire et suivre la réponse au traitement. La chute précoce et profonde de la calprotectine fécale prédit une réponse prolongée chez la majorité des patients sous traitement d’entretien.

La calprotectine fécale représente le marqueur le plus prometteur pour l’évaluation de la cicatrisation muqueuse.

A titre individuel, la variation des concentrations des biomarqueurs au cours du temps est très certainement un élément d’interprétation plus important qu’un dosage isolé.

L’élévation non spécifique de ces biomarqueurs doit souvent faire discuter d’autres explorations avant modification de la prise en charge de la maladie.

L’endoscopie permet d’évaluer l’étendue des lésions, la gravité des lésions et la cicatrisation muqueuse (cf.). Elle peut montrer aussi les limites de l’évaluation clinique par la persistance, parfois, de lésions endoscopiques en cas de rémission clinique.

La vidéocapsule endoscopique du grêle est la technique la plus sensible comparée à toutes les techniques radiologiques pour l’évaluation de l’atteinte du grêle hors iléon terminal mais sa place est en cours d’évaluation.

Les techniques radiologiques (scanner, IRM, échographie) sont complémentaires pour définir l’extension, le site et la gravité extra-luminale de la maladie. Un index de destruction intestinale radiologique (IRM) est en cours de définition (Score de Lemann) afin de l’intégrer dans l’évaluation générale de l’activité.

Tableau 1. Graduation de l’activité selon le Consensus ECCO

  • Activité minime : CDAI entre 150 et 220. HBI entre 4 et 8  
    • patient en ambulatoire, sans gêne alimentaire, avec une perte de poids < 10 %
    • absence de signe d’occlusion, d’hyperthermie, de déshydratation, de masse abdominale ou de sensibilité à la palpation
    • CRP en général augmentée au-dessus de limite supérieure à la normal
       
  • Activité modérée : entre 220 et 450. HBI entre 8 et 12  
    • vomissements intermittents ou perte de poids > 10 %
    • traitement des poussées minimes inefficaces ou masse sensible
    • absence de signe évident d’occlusion
    • CRP augmentée au-dessus de limite supérieure à la normale
       
  • Activité sévère : CDAI > 450. HBI > 12  
    • cachexie (IMC < 18 kg/m²) ou occlusion évidente ou abcès
    • ymptômes persistants malgré un traitement intensif
    • CRP augmentée
       

La mesure de la sévérité de l’activité d’une poussée est nécessaire mais souvent insuffisante pour guider la stratégie thérapeutique qui demande la recherche de facteurs de risque d’évolution péjorative dans les formes non sévères

Jusqu’à relativement récemment, c’est essentiellement la mesure de l’activité clinique qui guidait l’escalade progressive de nos thérapeutiques selon le degré de sévérité « STEP UP » et on réservait l’utilisation précoce des anti-TNF aux maladies d’emblée sévères ou compliquées au diagnostic.

Actuellement, le concept de rémission profonde associant une rémission clinique et une cicatrisation muqueuse (CM) endoscopique même partielle devient notre objectif thérapeutique car la CM influence positivement l’évolution de la maladie par le maintien d’une rémission stable à long terme et diminue le risque d’interventions chirurgicales. Il est surtout établi que la CM est plus souvent obtenue par les traitements anti-TNF quand ils sont utilisés précocement dans les 2 premières années du diagnostic à un stade où il n’existe pas de destruction irréversible de la paroi intestinale.

Cet objectif de cicatrisation muqueuse nous pousse à aller au-delà des symptômes vers des stratégies plus agressives précocement avec une fenêtre d’opportunité pour essayer de modifier l’histoire naturelle de la MC, dans les 18 premiers mois, soit d’emblée avec désescalade progressive « TOP DOWN » ou rapidement progressive « STEP UP accéléré ».

Il est donc essentiel de déterminer les facteurs de risques évolutifs péjoratifs vers une maladie « invalidante » afin de limiter les traitements précoces majeurs par anti-TNF à une population ciblée de patients et éviter de surtraiter en inversant la balance bénéfice/risque.

Facteurs de risques d’évolution péjorative justifiant une stratégie thérapeutique précoce des MC modérées par des médicaments capable de modifier l’histoire naturelle de la MC [1]

  • atteinte du grêle étendue ou multifocale
  • atteinte sévère du tube digestif haut
  • lésions endoscopiques sévères coliques*
  • les atteintes périnéales (LAP)
  • atteinte rectale avec ulcérations
  • les rares formes fistulisantes et sténosantes d’emblées qui ne correspondent pas à des séquelles d’une maladie ancienne passée inaperçue

L’âge inférieur à 40 ans au diagnostic et le tabagisme étant des facteurs aggravants.

Lors de la coloscopie

La présence de lésions sévères est un facteur prédictif de recours à la chirurgie : le risque de colectomie est multiplié par 5. Un traitement médical plus intensif se justifie.

Lésions endoscopiques sévères :

  • ulcérations profondes mettant à nu la musculeuse
  • décollements muqueux
  • ulcérations profondes occupant plus du tiers de la superficie d’un segment rectocolique (abrasion muqueuse)

Facteurs prédictifs de réponses à une biothérapie

  • maladie récente
  • maladie colique isolée
  • absence de chirurgie abdominale
  • patient jeune et non fumeur
  • lésions ulcérées iléo-coliques à l’endoscopie
  • absence de sténose
  • CRP élevée
  • traitement continu
  • concentration sanguine d’infliximab élevée

Ayons toujours à l’esprit les résultats de l’essai SONIC [2] montrant les deux facteurs prédictifs favorables d’utilisation de la stratégie d’optimisation (IFX-AZA) chez les patients naïfs : CRP élevée (0,8 mg/dl) et présence de lésion endoscopique.

Des marqueurs de lésions tissulaires, anatomiques, génétiques et immunologiques sont en cours d’études.

Annexe 1. Index de Harvey-Bradshaw

Valeur  
Bien-être général :     bon = 0 moyen = 1 médiocre = 2 mauvais = 3 très mauvais = 4      
Douleurs abdominales :     absentes = 0 faibles = 1 moyennes = 2 intenses= 3      
Selles liquides : nombre/jour  
Masse abdominale :     absentes = 0 douteuses = 1 certaines = 2 certaines avec défense = 3      
Signes extra-digestifs, fistule, fissure anale : 1 point par item présent.  
Score (=somme)
Score < 4 : maladie inactive
Score compris entre 4 et 8 : maladie active minime
Score compris entre 8 et 12 : maladie active modérée
Score supérieur à 12 : maladie active sévère

 

Annexe 2. CDAI ou Indice de Best

J1 J2 J3 J4 J5 J6 J7 Somme Coefficient
multiplicateur
Total
Nombre de selles liquides ou molles               2  
Douleurs abdominales :     absente = 0 légères = 1 moyennes = 2 intenses = 3                   2  
Bien-être général :     bon = 0 moyen = 2 médiocre = 3 mauvais = 4 très mauvais = 5               2  
Autres manifestations :                  
arthrites ou arthralgies               20  
iritis ou uvéite               20  
érythème noueux, pyoderma, aphtes buccaux               20  
fissures, fistules, abcès anal ou périrectal               20    
autre fistule intestinale               20  
fièvre (> 38° dans la semaine)               20  
Traitement anti-diarrhéïque :
(lopéramine ou opiacés)     non = 0 oui = 1    
              30  
Masse abdominale :     abscente = 0 douteuse = 1 certaine = 5                   20  
Masse abdominale :     abscente = 0 douteuse = 1 certaine = 5                   10  
Hématocrite* :     homme : 47 – Hématocrite femme : 42 – Hématocrite                   6  
Poids* :
100 x (1-Poids actuel/Poids théorique)
                 
Le signe doit être conservé donc ajout ou soustraction.
                TOTAL  

Un CDAI inférieur à 150 correspond à une maladie de Crohn inactive ;
compris entre 150 et 450 à une maladie de Crohn active ; supérieur à 450 à une maladie de Crohn sévère.

 

1. Zallot C., Peyrin-Biroulet L. Clinical Risk Factors for Complicated Disease: How Reliable Are They? Dig Dis 2012;30(suppl 3): 67-72 2.

Colombel J.F. et al. SONIC study group. Infliximab, azathioprine, or combination therapy for Crohn’s disease. N Engl J Med 2010 Apr 15;362(15):1383-95.