Congrès Nutrition 2008 – Obésité et psychiatrie

L’Organisation Mondiale de la Santé définit l’obésité comme une maladie, car elle altère le bien-être physique, psychologique et social des populations atteintes. L’obésité est une maladie chronique et évolutive, d’étiologie complexe. Certaines complications de l’obésité engagent directement le pronostic vital, d’autres sont source de handicap majeur. C’est donc un facteur de risque somatique et psychique qui compromet le fonctionnement psychosocial et la qualité de vie des patients. Cependant, l’obésité ne fait pas partie du DSM IV classification internationale diagnostique psychiatrique (APA, 1994).

Les sujets obèses morbides sont à haut risque de pathologies psychiatriques, notamment de syndromes dépressifs. Ces troubles concernent particulièrement les sujets de sexe féminin, et plus spécifiquement ceux qui viennent consulter dans le cadre d’une prise en charge en chirurgie bariatrique (chirurgie de l’obésité). Cette prise en charge doit être multidisciplinaire. L’évaluation psychiatrique pré-opératoire est fondamentale pour évoquer les troubles de l’image du corps et le vécu de stigmatisation du sujet obèse, éliminer toute contre-indication à la chirurgie, évaluer l’existence ou non de trouble des conduites alimentaire et de comorbidités psychiatriques. Elle prépare aux remaniements dans les relations sociales, affectives et professionnelles qui feront suite à la perte de poids.

Définition

L’obésité se définit comme une surcharge pondérale par excès de masse grasse, ayant des conséquences néfastes pour la santé. La mesure de la masse grasse étant difficile à réaliser en pratique clinique, une estimation de la surcharge pondérale est donc utilisée pour définir l’obésité : l’indice de masse corporelle (IMC), ou Body Mass Index (BMI) qui est égal au poids (en kg) divisé par la taille (en mètre) au carré. Selon la classification retenue par l’OMS (WHO, 1995) , l’obésité est définie par un BMI = 30 kg/m2.

Elle est elle-même divisée en 3 classes selon sa gravité :

  • classe I ou obésité modérée (30 kg/m2 = BMI = 34.9 kg/m2).
  • classe II ou obésité sévère (35 kg/m2 = BMI =  39.9 kg/m2).
  • classe III ou obésité morbide (BMI = 40 kg/m2).

Selon le rapport de l’International Obesity Task Force de l’OMS (National Task Force, 2000), la relation entre la mortalité et le BMI suit une courbe ascendante en j. Le risque relatif de décès observé est faible (aux alentours de 1) pour un BMI < 25kg/m2, puis il croit progressivement jusqu’à 1,5 pour un BMI compris entre 25 et 30. Au-delà de 30, le risque de mortalité croit plus rapidement, pour atteindre 2,5 pour un BMI à 35.

La chirurgie bariatrique justifie son existence par ce sur-risque de morbi-mortalité de l’obésité de classe III ou obésité morbide.

Épidémiologie

L’obésité connaît un développement épidémique. Dans le monde, 300 millions d’adultes sont obèses, un billion sont en surpoids (25 kg/m2  = BMI = 29,9 kg/m2). Aux Etats-Unis, un tiers des adultes est obèse, on prévoit que l’épidémie mettra prochainement un terme à deux siècles de progression régulière de l’espérance de vie (WHO, 1998).

 En France, la prévalence de l’obésité chez l’adulte reste de l’ordre de 12 %, soit 5,3 millions d’adultes. En valeur absolue, c’est l’un des pays les moins touchés. Les autorités de santé publique sont néanmoins inquiètes, car la prévalence chez l’adulte a progressé de 45 % sur le territoire français, entre 1987 et 1996, touchant des individus de plus en plus jeunes. À ce rythme, à moyen terme, la France devrait rattraper le taux actuellement observé aux Etats-Unis. Si cette tendance persiste, en 2020 un français sur cinq sera obèse. Pour ce qui est de l’obésité morbide, les chiffres sont moins bien connus. De fait, elle ne représenterait que 5 % des sujets obèses, ce qui correspond à 0,3 % de la population française, soit environ 250 000 cas (Obépi, 2003).

Deux concepts fondamentaux jouant un rôle dans l’aggravation de l’obésité, probablement même dans sa constitution et dans  l’apparition de troubles psychiques, sont à évaluer lors de l’entretien psychiatrique. Ce sont les troubles de l’image du corps et la stigmatisation du sujet obèse. Ces deux aspects étant eux-mêmes en lien : un vécu de stigmatisation pouvant entraîner une représentation négative du corps.

Image du corps

Deux aspects des troubles de l’image du corps sont à distinguer.

La pertinence de l’estimation corporelle est le premier aspect. Il s’agit plutôt de fausses croyances ou de pensées dysfonctionnelles. L’hypothèse étant que les sujets obèses qui sous-estiment leurs mensurations semblent être ceux qui ont une meilleure estime de soi et une image positive d’eux-mêmes (Schwartz et al, 2003).

L’insatisfaction vis-à-vis du corps est le second aspect. La caractéristique majeure du trouble est la sensation de ne pas être attractif. Il ne s’agit donc pas d’une cognition isolée mais bien d’une cognition avec raisonnement de référence aux autres, pouvant entraîner des comportements d’évitement voire expliquer une prévalence élevée de phobie sociale et d’agoraphobie chez le sujet obèse.

Il serait tentant de penser que l’insatisfaction puisse être utilisée par le sujet obèse comme une motivation à la perte de poids, or ce n’est pas le cas. Il existe en effet une relation en U inversé entre l’insatisfaction par rapport à son corps et la motivation à perdre du poids : un sujet en surpoids avec une image du corps satisfaisante ne sera pas motivé à modifier ses comportements, ainsi que le sujet très insatisfait de son corps. L’insatisfaction doit être modérée pour être stimulante (Heinberg, 2004).

Cette insatisfaction paraît être plus fréquente  chez le sujet obèse de sexe féminin, souffrant d’hyperphagie boulimique (binge eating disorder), et en recherche d’une prise en charge dans l’objectif de perdre du poids (Schwartz, 2004).

La différence selon le sexe paraît très clairement établie, et semble même avoir un substrat neurobiologique. En effet, une étude récente utilisant l’IRM fonctionnelle, montre que lors de la vision de leur corps déformé, grossi, les hommes et les femmes sains n’activent pas les mêmes réseaux :

  • les femmes activent le cortex préfrontal bilatéral, la région limbique gauche avec l’amygdale et le cervelet droit ;
  • les hommes activent le lobe occipital droit incluant les aires visuelles primaires et secondaires, le lobe temporal et pariétal droit et le cervelet droit.

Pour les femmes la vision de leur propre corps déformé entraîne l’activation de circuit de la perception et de la régulation émotionnelle, spécialisé dans la peur, alors que l’homme, en activant la voie dorsale de la vision, analyse ce corps comme il pourrait le faire d’un objet dans l’espace (Kurosaki, 2006).

Il existe également des différences ethniques concernant cette insatisfaction : la femme noire en surpoids semble moins insatisfaite de son corps que la femme blanche (Schwartz, 2004).

L’âge de début de l’obésité ne semble pas influencer l’image du corps, mais plus l’obésité est précoce et plus l’insatisfaction perdurera après la perte de poids (Adami, 1998).

Il semble très probable qu’une image négative du corps puisse avoir des conséquences psychopathologiques et psychosociales majeures, et entraîner ou aggraver  des troubles du comportement alimentaire, une anxiété sociale, des dépressions, des troubles sexuels, une mauvaise estime de soi (Annis et al, 2003). La femme jeune ayant une mauvaise image de son corps est à haut risque dépressif (Dixon et al, 2003).

Stigmatisation et conséquences psychosociales

C’est à W. Cahnman que nous devons cette première définition « par stigmatisation, nous signifions le rejet et la disgrâce qui sont associés à ce qui est vu (l’obésité) comme une déformation physique et une aberration comportementale ».

En effet, la discrimination débute dès le plus jeune âge, les enfants de 6 ans décrivant les obèses comme stupides, paresseux, sales, menteurs et tricheurs et les adultes comme incompétents et émotionnellement instables (Puhl, 2001).

Les enfants jouent un rôle essentiel dans ce phénomène de stigmatisation. Ils sont la première source déclarée de stigmatisation par les sujets obèses adultes (Myers, 1999). Dès trois ans, les enfants manifestent clairement des comportements de stigmatisation à l’égard des sujets en surpoids qu’il s’agisse d’adulte ou d’enfant.

Selon Jean-Pierre Poulain, sociologue, cette stigmatisation serait apparue en France, il y a cinq à dix ans, mais était déjà présente aux Etats-Unis à la fin des années soixante. Elle semble être fortement liée au culte actuel de la minceur et au discours médical ambiant qui fait de l’obésité un problème de santé publique (Basdevant, 2004).

En effet, les attitudes négatives à l’égard des sujets obèses sont largement représentées au sein du corps médical. De nombreuses études américaines valident le processus de stigmatisation de la part du personnel médical et paramédical au sein des institutions de santé (Myers,1999), ou encore chez les étudiants en médecine.

Soixante dix huit  pour cent des sujets obèses morbides, évalués en pré-opératoire rapportent avoir été toujours ou le plus souvent maltraités par les professionnels de santé (Schwartz, 2004). Le milieu médical paraît perméable aux valeurs dominantes de la société.

Ainsi, dans les pays développés, elle est source de discrimination sociale, principalement envers les femmes, de la part de la population générale mais aussi des personnels de santé.

La qualité de vie, les activités sociales et physiques, les relations aux autres, l’image du corps, et la sexualité semblent s’améliorer après la perte de poids (Annis, 2004).

Les expériences de stigmatisation chez les femmes obèses semblent avoir pour conséquences une mauvaise estime de soi, une insatisfaction de la qualité de vie, et pourraient entraîner une anxiété sociale, des dépressions et des troubles du comportement alimentaire tels que les binges (Annis, 2004). L’obésité a un impact sur la plupart des aspects du bien être social, comme la diminution des activités et interactions sociales (Mathus-Vliegen et al, 2004). Un cercle vicieux s’installe : stigmatisation, perte d’estime de soi, prises alimentaires de compensation, développement puis entretien de l’obésité

En d’autres termes, la stigmatisation ne crée probablement pas le surpoids et l’obésité, mais elle l’aggrave et l’entretient.

Obésité et troubles des conduites alimentaires

Lors de l’évaluation psychiatrique, les troubles des conduites alimentaires sont à rechercher en priorité après avoir éliminer un trouble du comportement alimentaire (antécédent d’anorexie ou boulimie avec vomissement) qui reste une contre-indication psychiatrique à la chirurgie bariatrique. Chez le sujet obèse, les troubles des conduites alimentaires regroupent des anomalies prandiales et extra prandiales.

  • L’hyperphagie prandiale est caractérisée par une exagération des apports caloriques au cours des repas. Elle n’est pas toujours mise en évidence chez le sujet obèse.
  • Le grignotage se caractérise par la consommation répétitive, sans faim, de petites quantités d’aliments en dehors des repas.
  • Les compulsions alimentaires (craving) se définissent par une impulsion soudaine et irrésistible à consommer un aliment en dehors des repas. Contrairement à la fringale, elles ne sont pas déclenchées par la faim. Le « carbohydrate craving » est une compulsion alimentaire exclusivement glucidique. Ce phénotype comportemental est clairement défini par une consommation calorique extra-prandiale = 30 % de la consommation calorique journalière et un apport glucidique extra-prandial = 35 % des apports glucidiques totaux. Il s’agirait d’une modalité d’alimentation émotionnelle. La prise alimentaire sucrée est à l’origine d’une augmentation des taux de sérotonine intra-cérébrale (Wurtman, 1998).
  • La noctophagie (night rating syndrome) a été décrite par Stunkard pour la première fois en 1955. Il s’agit d’une hyperphagie nocturne, donc extra-prandiale. Le sujet se lève pour manger. Elle est fréquemment associée à une anorexie diurne évoquant alors un trouble du rythme circadien (Stunkard, 2004).
  • L’hyperphagie boulimique ou « binge eating deasorder » a été décrite pour la première fois chez le sujet obèse par Stunkard en 1959. Depuis peu, elle fait l’objet de critères diagnostiques précis (Spitzer, 1992). Elle se caractérise par une consommation très rapide, sans faim, de quantités importantes de nourriture, au-delà de la satiété. Le sujet est le plus souvent conscient du caractère pathologique de ce comportement. La perte de contrôle est précédée par un sentiment de vide. Elle est suivie d’un sentiment de honte et de culpabilité. À la différence de la boulimie, il n’y a pas de comportements compensatoires tels que les  vomissements provoqués ou la  prise de traitements médicamenteux laxatifs, diurétiques ou hormones thyroïdiennes.

Obésité et psychopathologie

Trois sous groupes de sujets obèses semblent être particulièrement à risque de troubles psychiatriques :

  1. Les sujets obèses de sexe féminin est un sous-groupe à risque de perturbation de l’image du corps, de discriminations et de conséquences psychosociales négatives. Elles souffrent dix fois plus de troubles du comportement alimentaire que les hommes. Elles sont également plus à risque de troubles de l’humeur, parfois même de trouble de la personnalité (Fabricatore, 2000).
  2. Les obèses souffrant d’hyperphagie boulimique (binge eating disorder) représentent environ 5 % de la population obèse. Ils ont le risque le plus élevé de psychopathologie de l’axe I (incluant dépendance et abus de substance) avec des dépressions plus graves (Fassino, 2002 et 2003). Ils sont également à risque de troubles de l’image du corps avec une mauvaise estime de soi et de conséquences psychopathologiques plus importantes. Du point de vue de l’axe II, le tempérament est marqué par un haut degré d’évitement du danger ainsi qu’une détermination plus faible. Le caractère se distingue par de l’agressivité, de la colère, de l’hostilité, de l’impulsivité, de la critique, ceci indépendamment du niveau de dépression (Fassino, 2002 et 2003).
    Deux éléments semblent prédictifs d’hyperphagie boulimique : une détermination faible et un BMI peu élevé. En effet, les sujets essayant de contrôler leur alimentation et leur poids sont à risque de développer une hyperphagie boulimique (Abbot, 1998).
  3. Les obèses morbides représentent environ 5 % des sujets obèses. Ils sont également à haut risque de développement de troubles psychopathologiques. En cas d’obésité morbide, le recours aux soins est souvent tardif et une proportion élevée de sujets atteints d’obésité morbide ne consulte pas. Il n’existe pas d’étude française sur les causes de l’absence ou de retard de prise en charge des obésités massives. Certains considèrent que les obstacles à une prise en charge précoce et adaptée s’expliquent par des facteurs psychosociaux et une mauvaise orientation des patients dans le système de soin.
    Dans cette population, une plus grande prévalence de sujets souffrant d’hyperphagie boulimique (binge eating disorder) est retrouvée, entre 11 % (De Zwaan, 2003) et 21,6 % (Riener, 2005), alors  qu’elle n’est que de 5 % dans la population obèse en général.
    On observe également une plus grande prévalence de troubles de l’humeur (dépression majeure), de troubles anxieux (agoraphobie, phobie simple, syndrome de stress post-traumatique), de boulimie, de dépendance tabagique, et de troubles de la personnalité (border line) (Black, 2003). La femme jeune, obèse morbide avec une mauvaise image du corps est à haut risque de symptômes dépressifs (Dixon, 2003). Les conséquences somatiques de l’obésité morbide comme le handicap fonctionnel important, les troubles du sommeil, les douleurs associées aux troubles psychosociaux majeurs, les échecs répétés des tentatives de perte de poids avec espoir, culpabilité, faible estime de soi et la discrimination sociale semblent être des facteurs favorisants non négligeables de décompensations psychiques.

Il n’existe pas de « personnalité obèse » à proprement parler. Néanmoins, on trouve fréquemment chez les sujets obèses des caractéristiques de personnalité particulière (Fassino, 2002) comme : l’impulsivité, l’irascibilité, l’insécurité, la mauvaise estime de soi, la mauvaise image corporelle, le perfectionnisme et la desinhibition.

Du point de vue du tempérament, un haut degré d’évitement du danger semble corrélé, chez le sujet obèse, aux troubles anxio-dépressifs (Sato, 2001) et à une perturbation du système sérotoninergique (Cloninger, 1999). Parfois, une relation positive est retrouvée entre le surpoids et les troubles de la personnalité de type border-line (Sansone, 2001).

Une étude suggère également que l’alexithymie pourrait être une dimension fréquemment retrouvée chez les sujets obèses, et ceci indépendamment de l’existence ou non d’une hyperphagie boulimique. Trois paramètres significatifs pourraient expliquer le lien entre alexithymie et obésité : un faible niveau scolaire, l’existence d’un trouble dépressif actuel ou passé et un score de dépression de 8 au moins à l’Inventaire de Beck (De Chouly, 2000).

Obésité et troubles de l’humeur

Dans la population générale, la prévalence de la dépression chez la femme est de 10%, elle va jusqu’à 14% dans une population de sujets obèses (Carpenter, 2000).

Obésité et dépression partagent de nombreux points communs comportementaux, cliniques et neurobiologiques (Rosmon, 2004).

  • Les comportements alimentaires excessifs, l’inactivité physique et la prise de poids sont présents dans l’obésité mais également dans certains types de dépression comme les dépressions saisonnières, atypiques, prémenstruelles, et somatiques (Jacobs, 1984).
  • Certains comportements alimentaires semblent augmenter la libération de sérotonine cérébrale. En effet, les sujets obèses « carbohydrate cravers » recherchent tout particulièrement les aliments riches en glucides et pauvres en protides. La conséquence directe de ce type de comportement est une élévation rapide du taux d’insuline plasmatique. Celle-ci crée une déplétion, par recapture au niveau musculaire, en acide aminé circulant dont le tryptophane. Ce dernier ayant un transport de type compétitif à travers la barrière hémato-encéphalique, son entrée plus importante au niveau cérébral permet une production accrue de sérotonine en pré-synaptique (Wurtman, 1998). Le lien entre obésité par « carbohydrate cravers » et trouble de l’humeur est confirmé. Ce phénotype se retrouve dans la dépression saisonnière, le syndrome prémenstruel et la dépression atypique, mais aussi après un sevrage tabagique.
  • Les perturbations de l’axe hypothalamo-hypophyso-cortico-surrénalien, du système des mono-amines comme la sérotonine, la dopamine, la noradrénaline, l’augmentation de la leptine, un syndrome inflammatoire, les anomalies du métabolisme lipidique et glucidique se retrouvent dans l’obésité et la dépression.
  • Les conséquences morbides et mortelles de l’obésité se retrouvent également dans la dépression : le diabète, les pathologies cardio-vasculaires (Hoyer, 2000).
  • Les traitements médicamenteux (inhibiteur de recapture de la sérotonine) et les psychothérapies, traitements de la dépression, sont également utilisés dans le traitement de l’obésité.

Obésité et dépression semblent avoir toutes deux une participation génétique complexe, de type polygénique en interaction avec l’environnement.

De nombreuses études mettent en relation de façon plus globale obésité et troubles de l’humeur(Carpenter, 2000 ; Mc Elroy, 2004). Chez la femme, obésité et syndrome dépressif majeur, syndrome dépressif atypique, idées suicidaires, et tentative de suicide sont corrélés positivement. La jeune femme obèse ayant une mauvaise image de son corps est à haut risque de dépression (Dixon, 2003).

Chez l’homme, les études sont contradictoires, cependant, Carpenter identifie un risque important de dépression, d’idées suicidaires et de tentative de suicide chez les sujets avec un BMI< 20.8 kg/m2. Dans les deux sexes, il existe également une corrélation positive entre symptômes dépressifs et graisse intra-abdominale.

La place du psychiatre dans la chirurgie de l’obésité

L’augmentation des interventions de chirurgie bariatrique a été considérable en France comme dans d’autres pays : 2000 en 1995, 16 000 en 2001, 20 à 30 000 en 2003.

Une étude sur les pratiques a été menée en considérant les patients opérés entre le 1er décembre 2002 et le 31 janvier 2003 (1 138 interventions) et les 1 003 patients reçus par un médecin conseil dans le cadre de la demande d’entente préalable (CNAMTS, 2004). En France, la principale technique utilisée est la pose d’un anneau gastrique ajustable par coelioscopie (96,1 % des techniques) ; 72,9 % des actes ont été réalisés dans le secteur privé libéral. Le rapport indique que les complications à court terme sont faibles : 5 % durant l’hospitalisation, 0,2 % de décès. Les indications sont parfois discutables : 16 % des malades n’auraient pas dû être opérés (mauvaises indications ou contre-indications non respectées). L’étude conclut que le respect des référentiels est loin d’être parfait (CNAMTS, 2004).

Les indications de la chirurgie de l’obésité sont clairement définies. La chirurgie bariatrique concerne exclusivement :

  • les sujets obèses morbides ;
  • et les sujets obèses sévères avec des comorbidités menaçant leur état de santé.

Les patients doivent être en situation d’échec de régimes, après une prise en charge médicale adaptée d’au moins un an, si possible par une équipe spécialisée (nutritionnistes,?).

Dans le cadre d’une obésité massive, le traitement chirurgical est sans doute le plus efficace en termes de perte de poids. Les effets positifs sur les comorbidités et la qualité de vie sont démontrés. Néanmoins, aucune étude n’a encore démontré de bénéfice en terme de mortalité (ANAES, 2000).

La seule étude de référence, la SOS study (Karlsson, 1998), apporte des résultats avec un recul de 10 ans. C’est une des études les plus récentes et les mieux conçues, utilisant diverses techniques chirurgicales.

Les résultats, dix ans après le début de l’étude, mettent en évidence une réduction importante et durable du poids (en dépit d’une reprise pondérale partielle 2 à 3 ans après l’intervention), associée à des bénéfices somatiques importants et à une amélioration de la qualité de vie.

La perte de poids, spectaculaire la première année, diminue au fil de l’étude de 37 % à 23 % pour le court-circuit gastrique, de 25 % à 16 % pour la gastroplastie verticale calibrée et de 20 % à 13 % pour l’anneau gastrique ajustable. Certains effets, comme ceux sur la tension artérielle ne se maintiennent pas.

La chirurgie bariatrique aurait, par la perte de poids, un effet positif sur le fonctionnement psychosocial des patients obèses morbides. Les résultats suggèrent une amélioration des troubles psychopathologiques de l’axe I du DSM, et plus spécifiquement des symptômes anxieux et dépressifs, alors qu’il n’y aurait pas d’influence sur l’axe II (Herpertz et al, 2003). Aucun bénéfice sur la mortalité à moyen terme n’est cependant documenté à l’heure actuelle (ANAES, 2000). Cet acte chirurgical ne doit pas, pour autant, être banalisé ni considéré comme un traitement « miracle » dispensant définitivement les patients de toute contrainte : la mortalité péri-opératoire, les complications précoces et tardives ne sont pas négligeables ainsi que de nombreux échecs individuels. Sa pratique nécessite donc une coordination et un suivi des soins. La prise en charge chirurgicale de l’obésité doit être multidisciplinaire. Une évaluation psychiatrique pré-opératoire est essentielle afin d’éliminer les contres indications, mais aussi évaluer la compréhension des risques et  contraintes de l’intervention par le patient, sa motivation et ses capacités d’adaptation (ANAES, 2000).

Le psychiatre est un médecin spécialiste, il évalue le patient en pré-opératoire et pourra être amené à le suivre voire parfois même à débuter un traitement. Son rôle est crucial dans la prise en charge du sujet obèse, car le poids n’est  souvent que le symptôme visible d’un mal-être plus profond et inconscient. Le psychiatre tient une place centrale dans l’indication opératoire. En effet, après avoir éliminer les contre-indications psychiatriques, il se doit de déterminer le type de comportement alimentaire du patient, les troubles de l’image du corps, et le retentissement social, familial, sexuel de l’obésité.

De nombreuses contre indications psychiatriques à la chirurgie bariatrique existent. La consultation psychiatrique pré-opératoire est donc plus que nécessaire afin de les dépister.

L’absence de motivation retrouvée lors de l’entretien en est une. En effet, cette absence peut avoir de graves conséquences en terme de suivi post-opératoire. L’incapacité au changement de mode de vie est également une contre-indication. La chirurgie bariatrique quelle qu’elle soit doit entraîner une modification du comportement alimentaire. Enfin, les troubles psychiatriques graves telle qu’une dépression sévère, une psychose non stabilisée, une tendance suicidaire, un trouble grave de la personnalité, une pathologie addictive comme l’alcoolisme ou la toxicomanie, un trouble du comportement alimentaire comme la boulimie avec vomissement. La recherche d’un désordre du comportement alimentaire (hyperphagie boulimique, noctophagie, grignotages, compulsions?) ou d’un trouble avéré du comportement alimentaire de type boulimie avec vomissement  est une priorité. En effet, la présence d’un de ces trouble peut conditionné le choix de la gastroplastie ou du by-pass, voir être une contre-indication à toute intervention.

Des critères de bon candidat à la chirurgie ont été répertoriés (Terra, 1997).

La démarche du patient doit être spontanée et volontaire, après mure réflexion.

Il doit avoir pris conscience de son hyperphagie, sans la minimiser. Le patient ne souffre pas de trouble du comportement alimentaire (boulimie avec vomissement) qui reste une contre-indication majeure à la gastroplastie. L’absence de maladie chronique et l’absence d’inquiétude exagérée sur la santé doit être vérifiée. Le patient doit montré une bonne estime de soi et de bonnes capacités de maîtrise personnelle. Ses activités et son rôle sociale doivent être maintenus malgré son handicap. Enfin, il doit montré une bonne hygiène corporelle et un état dentaire satisfaisant.

Le psychiatre évalue donc lors de l’entretien les motivations du patient, ce qui le pousse à subir une opération. Le handicap fonctionnel  de l’obésité doit être évalué. Il évalue également les capacités de changement du patient. Le psychiatre jugera aussi la compréhension des risques et des contraintes de la chirurgie, essentiels à une bonne coopération du patient et donc aux résultats.

Lors de l’interrogatoire, le psychiatre recherche un trouble de l’image du corps. En effet, s’il existe en pré-opératoire, ce trouble peut entraîner une insatisfaction vis-à-vis des résultats de la chirurgie malgré la perte de poids. Il faudra toujours évaluer le retentissement social, familial et sexuel de l’obésité. Les antécédents de stigmatisation, le vécu difficile par rapport au corps seront également à prendre en compte.

Lors de l’entretien, il est indispensable de rappeler que l’acte chirurgical n’est pas banal. Il n’est pas sans risque et sans contrainte. Il ne sera jamais une solution miracle. Il est également important d’évoquer l’avenir du patient afin d’anticiper les changements. En effet, le regard des autres et celui du patient sur lui-même vont évoluer. Ceci peut retentir sur la vie familiale et surtout la vie de couple. La sexualité doit être également abordée. Nombreuses sont les patientes ayant été victimes d’abus durant l’enfance ou de viol (Grilo, 2005). Ainsi, le corps se vit comme une armure et il sera difficile finalement d’accepter un corps amaigri, vulnérable.

L’entretien d’évaluation psychiatrique est une première approche du patient. Il permet de créer un lien avec ce dernier. Le psychiatre devient alors un référent en cas de besoin que l’on pourra contacter en cas de nécessité. Le cas échéant, le psychiatre pourra proposer un suivi et un traitement qu’il faudra poursuivre en post-opératoire.

En post-opératoire, le psychiatre réévalue l’existence d’un syndrome dépressif secondaire à la perte de poids. En effet, contre toute attente, certains patients le plus souvent des femmes vivent mal le changement corporel et de ce fait le regard nouveau posé sur elles. Souvent, il faut une réorganisation des relations sociales et familiales. Un remaniement des relations affectives est nécessaire, avec quelque fois des ruptures.  De nouveaux repères sont à reconstruire. Le psychiatre devra également en post-opératoire mesuré la prise de conscience de la perte de poids. Très importante et très rapide avec la chirurgie bariatrique, la perte de poids sera d’autant plus satisfaisante pour le patient qu’elle sera justement évaluée.

Par conséquent, le psychiatre tient une place importante dans l’évaluation pré-opératoire des sujets obèses candidats à la chirurgie bariatrique. Il élimine toute contre-indication psychiatrique et évalue l’existence de comorbidité psychiatrique ou de facteur de vulnérabilité à ces comorbidités tel qu’un trouble de l’image du corps, un vécu traumatisant de stigmatisation ou encore une très mauvaise estime de soi. L’étayage familial et social est également un facteur péjoratif s’il est insuffisant. Cette évaluation pré-opératoire prépare également aux changements à venir et aux remaniements de la place du sujet au sein de la famille ou de son entourage.

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