EPP : les gastro-entérologues, participants actifs de leur évaluation

SOYONS CLAIRS

Le titre n’est pas de moi. Personnellement, je l’aurais formulé avec plus de retenue. Le gastro-entérologue « de base » comme d’aucuns disent, est assez dubitatif quant à l’intérêt d’investir encore un peu plus de son temps dans une évaluation qu’on lui impose et qui est un objet de pouvoir pour certains.

D’AILLEURS DE QUOI PARLE-T-ON ?

Doit-on évaluer nos connaissances : ce serait peutêtre comique à défaut d’être désobligeant.

Doit-on évaluer notre compétence : c’est dans ce sens que Gérard SCHENOWITZ avec l’A.FOR. SPE. a tenté de nous conduire. STEP est un outil intéressant, à ce jour peu utilisé. Mais il n’est pas exclu que la HAS s’intéresse à ce bel enfant. L’avenir de cette méthode transplantée d’outre-atlantique est encore incertain dans l’hexagone mais on peut la tester sur medic-eval.org. Ceci étant, nos amis américains à Chicago, voulaient aussi nous conduire vers une évaluation de notre compétence en terme d’habileté technique avec force mannequins et produits virtuels dont l’intérêt commercial n’échappe à personne mais dont les résultats sont incertains ; nos enfants drogués par les jeux vidéo, semblent au moins aussi efficaces que les vrais experts sur ces supports ! (cf. dernière lettre du CREGG consultable sur son site Internet cregg.org)

Doit-on évaluer notre pratique : C’est la démarche actuelle de la HAS et que nous avons acceptée avec nos sociétés (SNFGE, SFED, FMCHGE et CREGG). Le référentiel est tout fait. La mobilisation des testeurs a été faible, ce qui est dommage car experts et lecteurs se sont beaucoup investis dans ce référentiel. En pratique, la réalisation d’un tel document a commencé par un choix de thèmes suffisamment représentatifs, voire cruciaux quant à la politique de santé : dossier patient, technique majeure usuelle, pathologie fréquente : En l’occurrence le choix a été :

  • « Tenue du dossier dans le cancer colorectal en gastro-entérologie » (en raison de la fréquence de la pathologie, de l’importance de gérer la prise en charge multidisciplinaire et la relation avec le médecin traitant) ;
  • « Prescription des examens complémentaires dans le reflux gastro-osophagien chez l’adulte en gastro- entérologie » (en raison de l’extrême fréquence de la pathologie concernée et du problème financier induit » ;
  • « Prise en charge du risque lié à la coloscopie » (en raison de la fréquence de réalisation de l’examen et de l’importance d’une gestion sécuritaire ».

Une raison commune à ces choix était aussi l’existence de recommandations, conférence de consensus et textes réglementaires permettant la réalisation de référentiels.

Un ouvrage sur l’évaluation réalisé avec la participation de la HAS, d’EVALOR et du CREGG doit sortir à l’automne et précisera les modalités techniques de ces évaluations. A notre époque où la médecine est une démarche d’équipe voire collective pluridisciplinaire, l’évaluation individuelle a ses limites pour une spécialité comme la nôtre et les URML devront s’entendre avec les CME sur la mise en place de l’évaluation de nos pratiques collectives : c’est très clairement ce qui apparaît dans le récent décret N° 2005-346 du 14 avril 2005 sur l’EPP et le document de la HAS « Préparer et conduire votre démarche d’accréditation », publié en mars 2005 et que je vous engage à lire, notamment le chapitre intitulé Fiche 7 : « L’autoévaluation et l’évaluation des pratiques professionnelles » (voir sur le site HAS : http://www.has-sante.fr).

Je me permets de faire figurer ici deux diapositives d’une présentation PowerPoint® utilisée dans mon établissement. La première tente de résumer une démarche venue d’outre atlantique et qui commence par le désir des meilleurs chirurgiens d’être mieux payés sans pénaliser leurs patients. C’est une démarche logique dans un monde libéral qui a mis en place le taylorisme, partage du travail, et ses méthodes induites de certification des produits générés. La triade « paiement à la performance, traçabilité de la carrière du médecin pour son patient et recertification périodique » est d’une absolue logique. Nous autres latins, sommes un peu dérangés par cette logique sauf, toutefois, quand redevenus consommateurs de santé pour nous-mêmes et les nôtres, consommateurs ordinaires momentanés, nous aimerions savoir le degré de compétence et de respect des bonnes pratiques du médecin inconnu vers lequel les événements nous conduisent ! La deuxième diapositive résume tout simplement les différentes évaluations possibles, en oubliant celle que nous avons entendu à la DDW de 2005, à savoir la capacité éthique de respecter les procédures en place dans l’établissement où nous travaillons (cf : http://www.cregg.org/page-563.htm ).

J’EN REVIENS AU TITRE QUE L’ON A CHOISI POUR MOI

Je pense, finalement, qu’il est un peu incantatoire, mais assez raisonnable aussi : le monde où nous allons exige des équipes en place dans les hôpitaux, cliniques et cabinets de ville, une compétence, des résultats mais aussi une transparence ( Voir le site : http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/sante-malades-acteurs-du-systeme-sante.html ). Quitte à être évalués, faisons en sorte que cette évaluation soit utile et pertinente et nous sommes les mieux placés pour faire en sorte qu’elle le soit : il suffit de s’y intéresser et de participer à sa mise en place pour ne pas laisser à d’autres le soin de le faire. Je sais bien que cet argumentaire peut être utilisé pour mettre en place n’importe quoi et faire participer les victimes à leur propre torture. Mais s’agit-il ici d’une démarche abusive de la société à notre égard ? N’est-il pas normal aujourd’hui de ne plus accepter le bon vouloir de certains et l’abus de pouvoir d’autres ? L’évaluation n’est-elle pas la dimension morale du professionnalisme ? En d’autres termes, cette évaluation n’est-elle pas désirable pour tous ceux qui font bien leur travail ? Certes, nous avons vu des chefs de cuisine « trois étoilés » préférer rendre leurs étoiles, mais la grande majorité des bons restaurants a plutôt trouvé satisfaction et profit à voir leur prestation rendue publique.

Les chirurgiens américains du début du siècle passé n’avaient rien demandé d’autre en exigeant de voir leur travail évalué et apprécié objectivement.

La coloscopie est un des deux gestes endoscopiques les plus fréquemment pratiqués par les hépatogastroentérologues. Elle se doit d’être effectuée le plus efficacement possible pour permettre le diagnostic et/ou le traitement des lésions précancéreuses et cancéreuses coliques. Son importance est directement liée à la fréquence du cancer colorectal qui touche 33 000 nouvelles personnes en France par an et dont le pronostic reste sombre avec 16 000 décès par an. L’ensemble de la procédure ne pouvant être traitée de manière exhaustive, le sujet sera limité à la coloscopie diagnostique et ne prendra pas en compte les consignes habituelles de désinfection du matériel et la gestion des éventuelles complications. Aucune recommandation détaillée n’est actuellement proposée, que ce soit en France ou dans les autres pays occidentaux, pour la réalisation d’une coloscopie. Un certain nombre de recommandations émises par la Société Française d’Endoscopie Digestive (SFED) sur des points spécifiques sont en revanche disponibles (antibioprophylaxie, gestion des traitements antithrombotiques, désinfection, techniques d’hémostase.). Une recommandation plus générale de la SFED est en cours de rédaction. Elle se heurte à un certain nombre de problèmes qui nécessiteront une concertation pour que les choix qui sont à faire ne soient pas contre-productifs. L’objectif est de finaliser cette recommandation pour les JFPD 2006. Les points détaillés ci-dessous serviront de base à la rédaction finale de la plus grande partie de la recommandation.

POSER L’INDICATION ET INFORMER LE PATIENT

Ce sont les deux problèmes à envisager avant la réalisation d’une coloscopie. Il y a quelques années, il était fréquent de ne pas voir en consultation préalable les patients adressés pour coloscopie. Cette approche se modifie progressivement. En effet, elle avait deux inconvénients majeurs qui expliquent ce changement :

  • Les indications sont moins pertinentes quand elles sont posées par le généraliste. Ainsi, sur une étude américaine, 87 % des indications posées par les GE étaient appropriées quand seulement 65 % des indications posées par le généraliste étaient correctes [1] ;
  • L’information au patient s’avère moins efficace. Ainsi, il s’agit d’une des principales causes de conflit (33 % des cas) entre les praticiens et les patients dans une étude anglaise récente [2]. En France, la loi Kouchner nous impose de pouvoir prouver que l’on a donné une information honnête au patient sur les risques et avantages de l’examen et que l’on a recueilli son consentement éclairé. Cette information doit être orale, éventuellement complétée par un document écrit comme la fiche d’information proposée par la SFED et remise à jour récemment (en collaboration avec la SNFGE et la société de coloproctologie). La signature, qui n’est pas obligatoire, ne met pas à l’abri d’un conflit. Elle peut juste valider le fait que le patient a reçu l’information et qu’il avait la possibilité de poser toutes les questions souhaitées. D’autres alternatives sont possibles comme de noter dans le dossier que l’information a bien été donnée. En cas de conflit, et en l’absence de toute trace écrite, il est également possible de justifier (avec des patients témoins par exemple) de nos pratiques habituelles. L’évolution actuelle de la jurisprudence fait penser que l’on pourra plus nous reprocher d’avoir fait signer un document d’information au patient sans l’avoir vu que de l’avoir vu en consultation sans l’avoir fait signer.

Si l’on admet qu’il est nécessaire de voir un nouveau patient en consultation avant une coloscopie, le problème est moins clair pour les patients ayant déjà eu une coloscopie par nos soins et nécessitant un contrôle systématique. Il est cependant probablement souhaitable d’être maximaliste pour ne pas méconnaître d’éventuels changements de thérapeutique ou de terrain (allergie ?) ou des événements de santé intercurrents qui pourraient modifier l’indication de la coloscopie. Cela permettra également de réaliser l’interrogatoire indispensable concernant les risques de maladie de Creutzfeldt-Jacob et de remplir la fiche devant être présente dans le dossier.

La préparation

C’est un problème important, souvent sous-estimé.

Les échecs de préparation

Ils sont fréquents, pouvant être retrouvés dans 22 % [3] des coloscopies. Dans l’étude de Ness et al., 80 % des patients avec échec de préparation avaient pourtant bien suivi les consignes. Certains facteurs favorisant une mauvaise préparation ont pu être notés : patient hospitalisé, prise d’antidépresseurs tricycliques, sexe masculin, coloscopie indiquée pour une constipation, antécédents de cirrhose, d’infarctus ou de démence. Dans ces populations, des protocoles alternatifs pourraient être proposés d’emblée.

Quel est l’impact d’une mauvaise préparation ?

Les conséquences d’une mauvaise préparation sont doubles :

  • Des lésions peuvent être méconnues. Cela concerne surtout des lésions < 1 cm [4]. Les volumineuses lésions sont rarement masquées. Si l’indication de la coloscopie est avant tout la recherche d’un néoplasme chez un patient difficile à préparer (maladie mentale.), il pourra être logique de poursuivre l’examen et de ne pas le reprogrammer. En revanche, si l’indication est un dépistage de polypes chez un patient qui n’a aucune raison d’avoir une mauvaise préparation, l’arrêt de l’examen sera à envisager. Un nouvel examen sera à programmer en fonction de la proportion de colon bien exploré et du risque relatif de lésion. Aucune recommandation ne peut cependant être faite dans de telles situations.
  • L’impact économique est loin d’être négligeable [5]. Il repose sur la nécessité de faire un contrôle plus rapproché ou de reprendre l’examen.

Quelle préparation ?

  • Une information écrite sur la préparation est en général délivrée, et plus ou moins bien expliquée par une secrétaire ou une infirmière. Il est important de vérifier que celle-ci est bien sensibilisée sur l’importance de son rôle et qu’elle est toujours motivée (lassitude des informations répétitives .). Il faut nous même alerter le patient de l’importance de la préparation.
  • Deux grandes classes de produits sont généralement utilisées en France : les polyéthylène-glycol (PEG) et le phosphate de sodium. Au moins 16 études randomisées on comparé les deux classes de produits. Treize d’entre elles retrouvent une efficacité comparable. La compliance et la tolérance étaient plutôt améliorées avec le phosphate de sodium [6]. Un impact sur les électrolytes pouvait en revanche faire préférer les PEG dans certaines populations à risque.

Des études sont en cours avec des préparations moins importantes en volume de liquide ingéré. Il peut s’agir de répartir les 4 litres de PEG sur 2 jours (2 litres et 2 litres) ou de réduire le volume de PEG en associant du bisacodyl [7] ou de la vitamine C (études en cours).

Si certaines de ces alternatives sont prometteuses, des études complémentaires restent nécessaires.

  • Aucune étude n’a montré un avantage objectif à l’addition d’un régime sans résidu. Un choix peut donc être de le réserver à des patients à risque d’échec de préparation.
  • La vérification de la qualité de la préparation par l’infirmière est recommandée. En cas de persistance de selles ou de liquide sombre, différentes options peuvent être envisagées allant d’un traitement complémentaire, en particulier par lavements, à un examen différé de 24 heures avec la prise d’un complément de purge per os.
  • Les cas particuliers (préparation chez le dément, en réanimation, en cas d’hémorragie digestive .) seront à discuter avec le service pour être réalisable en pratique. Prendre en compte les difficultés spécifiques de préparation dans ces contextes est toujours plus constructif que de critiquer le résultat.

BILAN SANGUIN PRÉCOLOSCOPIE

Aucune recommandation n’est rédigée sur les explorations sanguines à réaliser avant une coloscopie. En l’absence de prise de traitement antithrombotique, le bilan à la recherche d’un trouble de coagulation peut être minimal voire se limiter à un interrogatoire orienté ce qui est souvent considéré comme le plus fiable pour les hémostaticiens.

PRISE EN CHARGE DES TRAITEMENTS DU PATIENT

Traitements antithrombotiques

Une fiche de recommandations sur la prise en charge des traitements anticoagulants et antiagrégants plaquettaires est actuellement finalisée après une concertation de 4 sociétés savantes (SFED, SFAR, SF de Cardiologie, Groupe d’étude de l’Hémostase et de la Thrombose). Pour la coloscopie, la réalisation de biopsie est possible quel que soit le traitement antithrombotique en cours et la polypectomie à l’anse (pied < 1 cm) a été retenue comme possible sous AINS et sous aspirine.

Autres traitements

Ils peuvent interférer avec l’anesthésie. Il sera utile de dire au patient de bien amener tous ses documents et ordonnances à l’anesthésiste. Il est par ailleurs logique de prévenir le patient de l’impact possible de la préparation sur l’absorption de certains traitements comme ce peut l’être pour les pilules faiblement dosées. Dans le cas particulier du diabète, on se méfiera de la prise des traitements antidiabétiques du soir qui pourraient rendre dangereux le jeûne matinal. La mise sous glucosé peut se discuter dans les cas difficiles. Le plus souvent, il suffira de conseiller l’absence d’injection d’insuline ou de prise d’antidiabétiques oraux tant que le patient est à jeun.

Antibioprophylaxie

Il sera bon de s’assurer que les procédures habituelles chez les patients à risque ont bien été prises en collaboration avec l’anesthésiste. On pourra se référer à la fiche SFED [8].

Anesthésie

L’étude des 2 jours de l’endoscopie en France réalisée en 2001 montre que 91,8 % des coloscopies se pratiquent sous anesthésie générale (AG) faite par un anesthésiste, 2,3 % sous sédation faite par le gastroentérologue et 5,8 % sans sédation. Cette répartition est caractéristique de la France. La plupart des autres pays européens utilisent la sédation, certains pays nordiques ne réalisant le plus souvent aucune sédation ou anesthésie. Il est intéressant de constater que si les praticiens et les patients d’un pays adhèrent au choix fait, le pourcentage de coloscopie réussie (intubation coecale) est très proche. Ainsi, dans une étude européenne multicentrique portant sur 200 patients par pays, le taux d’intubation coecale était de 97 % sous AG en France, de 96 % sous sédation en Hollande et de 92 % sans aucun traitement en Finlande. La discussion de la meilleure procédure reste très théorique. Les ardents défenseurs de chaque technique sont nombreux. En pratique cependant, les deux points les plus importants sont le pourcentage de coloscopie totale réussie et le pourcentage de patients susceptibles de refaire l’examen dans les mêmes conditions. Ces pourcentages vont dépendre de l’habileté de l’opérateur et de la tolérance du patient à la douleur. Il est clair que l’évolution dans notre pays s’est naturellement faite vers le tout anesthésie. Les options alternatives possibles sont à bien peser. L’absence de toute sédation est envisageable mais seulement avec un patient bien informé des possibles douleurs et des alternatives existant. La réalisation d’une sédation par le non-anesthésiste reste un choix à risque tant que des recommandations claires ne sont pas données sur la manière de la réaliser. Des recommandations françaises pourraient bientôt voir le jour sur ce sujet.

LA TECHNIQUE DE PROGRESSION

La technique de progression est un point important pour la qualité de la coloscopie. Elle permet : d’augmenter le pourcentage d’examen complet ; de diminuer le temps de montée qui est peu utile au diagnostic ; de limiter les complications et la nécessité d’une anesthésie prolongée (ou d’une sédation dans d’autres pays).

Les facteurs d’échec

Un certain nombre de critères ont été retrouvés comme étant significativement des facteurs favorisants d’échec. Ainsi pour Anderson et al. [9], le sexe féminin, un âge avancé, une anxiété importante, la présence d’une diverticulose chez la femme ou d’une constipation chez l’homme, l’hystérectomie ou un BMI bas < 25 étaient des facteurs prédictifs d’échec.

La technique habituelle de progression

La technique de progression est importante. Il est recommandé de ne pas appliquer de poussée trop forte en particulier à l’aveugle. Un bon signe est de stopper la poussée en cas de blanchiment de la muqueuse. D’une manière générale, il est souhaitable de progresser en visualisant la lumière, en débouclant, avec une insufflation limitée et en aspirant au fur et à mesure le liquide éventuellement présent. L’aspiration de l’air sera également un moyen de progression en particulier quand on est proche d’une angulation non franchissable en poussée ou pour progresser dans le colon droit. Sauf cas particulier, il est recommandé de réaliser soi-même la progression du tube.

Un certain nombre d’artifices peuvent être ponctuellement utiles que ce soit la mobilisation du patient ou la compression de boucles par un aide. En cas de compression, il est important de se représenter où le tube est en train de boucler pour orienter la position des mains.

Les innovations techniques récentes

Des innovations techniques ont été développés ces dernières années pour augmenter le taux de réussite des coloscopies :

a) Adaptation de la flexibilité/rigidité de l’endoscope

L’utilisation de coloscopes pédiatriques peut être ainsi préférée. Leur souplesse permet en effet de progresser plus aisément qu’avec un coloscope standard malgré la formation de boucles. L’inconvénient est qu’il est alors plus difficile de franchir l’angle droit. Un coloscope avec rigidité variable a été développé ces dernières années par Olympus. Le but est de modifier, en cours de coloscopie, la rigidité du corps de l’endoscope. Les possibilités vont d’une souplesse plus importante que les endoscopes habituels à une rigidité beaucoup plus importante susceptible de limiter la formation de boucle en transmettant mieux la force de poussée. Quelques études ont été réalisées comparant le coloscope à rigidité variable à un coloscope habituel. Dans l’étude multicentrique Européenne randomisée portant sur 1 200 patients le coloscope à rigidité variable était significativement plus performant pour le temps d’intubation coecale (9 mn vs 10 mn) et pour moins utiliser la compression abdominale. Le taux d’échec et la douleur induite étaient moindres dans le groupe coloscope à rigidité variable mais sans différence significative. 75 % des opérateurs considéraient cette évolution technique comme un plus. Les autres études réalisées sur des nombres de patients plus faibles étaient concordantes avec un taux d’échec non modifié et le plus souvent une simple diminution du temps de progression et du nombre de compression abdominales [10, 11]. L’utilisation de tels endoscopes en pratique courante ne peut donc pas être recommandé comme un nouveau standard. Une attitude non évaluée pourrait être de réserver ce type d’endoscope à des patients ayant eu auparavant un échec avec un endoscope habituel.

b) Suivi externe du trajet de l’endoscope par le Scope guide

Le principe est d’utiliser un coloscope avec des marqueurs électromagnétiques qui permettront d’imager la position de l’endoscope sur un écran. Les études réalisées montrent que la progression de l’endoscope se fait sans boucle chez seulement 9 % des patients. Les études réalisées avec le Scope guide sont rares mais concordent quant aux résultats : pour les endoscopistes expérimentés, il n’y a pas d’amélioration significative que ce soit pour le temps d’intubation coecale ou pour la douleur induite [12, 13]. C’est en revanche un outil idéal pour la formation et pour expliquer aux opérateurs et aux aides endoscopistes le principe des boucles et des artifices techniques pour les supprimer.

L’EXAMEN DE LA MUQUEUSE

C’est l’objectif final et le seul réellement important. Il faut garder à l’esprit que si la montée au caecum représente la partie la plus technique du geste et celle qui est souvent considérée comme « l’épreuve » au cours de la formation, c’est en fait l’examen de la muqueuse lors de la redescente qui est le vrai challenge. Il faut le replacer au centre de l’examen. C’est d’autant plus important que cette descente comporte un certain nombre de pièges.

Les limites de la coloscopie occidentale

Si la coloscopie est le gold standard pour la détection des cancers colorectaux, les études montrent que l’on méconnaît un pourcentage important de lésions. Les études de suivi de patients ayant eu des coloscopies montrent qu’un cancer pourrait être méconnu toutes les 250 à 1 250 coloscopies soit 5 à 20% des cancers [14]. L’importance des lésions polypoïdes omises est également conséquente chiffrée à 6 % pour les adénomes > 1 cm [15] et entre 15 et 24 % pour l’ensemble des adénomes [16, 17]. Un rapport direct avec le temps passé à redescendre était noté par Rex [17].

Quels éléments pourraient influer pour expliquer ces limites ?

1) Le type de lésions recherchées

Habituellement ce sont essentiellement des lésions polypoïdes que l’on recherche. Pourtant si celles-ci sont prédominantes, les lésions non polypoïdes sont également fréquentes. Ainsi, pour Kudo, sur 14 436 cancers superficiels coliques vus en 13 ans, les formes étaient développées sur des adénomes polypoïdes dans 57 % des cas, sur des adénomes plans dans 40 % des cas et sans tissu adénomateux reconnu dans 3 % des cas. Longtemps, les européens ont considéré que cette proportion était représentative du Japon mais non de l’Europe. Pourtant, un certain nombre de données sont venues finalement confirmer que nous n’étions pas différents de la population Japonaise. La proportion de lésions dégénérées non polypoïdes a été secondairement retrouvée comparable en Europe (63 %/36 %/1 %) par Rembacken [18]. Par ailleurs, plusieurs études ont montré que le taux de découverte de lésions dégénérées était largement plus élevé quand les coloscopies étaient réalisées par des techniciens formés à l’école Japonaise, que ce soit des Japonais travaillant en Europe [19] ou des endoscopistes occidentaux formés au Japon.

Des formes méconnues de lésions non polypoïdes à potentiel malin ont été également décrites ces dernières années. Ainsi les « laterally spreading tumors » développées sur des adénomes plans > 20 mm peuvent avoir un taux de dégénérescence de 20 % au moment de leur découverte. Les adénomes serrated incluant des composantes hyperplasiques et adénomateuses ont le même risque que les adénomes plans habituels.

2) La technique d’examen

Quels sont finalement les éléments qui expliquent les meilleures performances des opérateurs Japonais ? Il ne s’agit pas d’une acuité visuelle particulière puisque les opérateurs occidentaux formés au Japon acquièrent les mêmes capacités de détection. Trois éléments peuvent en revanche intervenir :

  1. la méthode d’exploration : le temps accordé à la redescente, l’utilisation d’insufflation et de déflation successive, la recherche systématique derrière les plis, en alternant descentes et remontées sont autant de points importants peu soulignés en Occident ;
  2. l’objectif visuel : ils ne s’attachent pas qu’à la recherche de lésions polypoïdes. Un examen soigneux de la muqueuse est réalisé en étudiant la coloration, la mobilité avec les ondes péristaltiques, les petites anomalies de relief ;
  3. l’objectif intellectuel : ils sont convaincus de l’importance de trouver des petites lésions.

 

Y a-t-il des évolutions techniques susceptibles d’améliorer nos performances ?

1) La chromoendoscopie

Elle peut avoir pour but d’augmenter le dépistage des petites lésions chez les patients à risque. Elle se fait avec de l’indigo carmin injecté en spray sur la muqueuse. Deux passages seront nécessaires car il faudra débuter par une coloscopie standard pour ne pas méconnaître des anomalies de coloration qui pourraient être masquées par le bleu. Trois situations ont été étudiées où elle pourrait présenter un intérêt : a) le dépistage dans des populations à très haut risque comme la rectocolite hémorragique (RCH) ou b) le syndrome de Lynch ; c) le dépistage chez les patients à haut risque (antécédents personnels ou familiaux de cancers coliques).

Deux études récentes sur le dépistage des dysplasies chez les patients porteurs d’une RCH ont souligné les performances de la coloration. Kiesslich en 2003 [20] a dépisté significativement plus de néoplasie intraépithéliale en réalisant un deuxième passage avec chromoendoscopie (10 vs 32). Rutter en 2004 [21] a confirmé ce résultat et a montré également une nette supériorité de cette approche par rapport à l’attitude habituelle de biopsies multiples étagées non orientées malgré le nombre élevé de biopsies réalisées (29 par patient). Cellier et al. notaient également une augmentation significative du nombre de polypes dépistés chez des patients porteurs d’un syndrome de Lynch.

L’intérêt de cette technique sur des populations à haut risque reste en revanche matière à débats. Kiesslich en 2002 (DDW, non publié) retrouvait sur 1 000 patients, significativement plus d’adénomes détectés avec la chromoendoscopie. Un biais de la méthode était cependant représenté par le nombre de coloscopies réalisées : dans le groupe chromoscopie, deux coloscopies avaient été pratiquées (1 sans et 1 avec bleu) vs 1 seule dans le groupe contrôle. Le pourcentage d’adénomes méconnus lors d’une première coloscopie pourrait suffire à expliquer la différence obtenue. Dans une étude randomisée plus récente de la SFED, étaient comparées une double coloscopie standard à une coloscopie standard + une chromoendoscopie. Sur 360 patients, il existait une différence significative pour détecter les polypes hyperplasiques ou des petits adénomes < 5 mm en particulier du colon droit. La différence n’était pas significative pour le nombre de patients avec adénome ou le nombre total d’adénomes. Ces résultats étaient concordants avec l’étude de Brooker [22]. Seul, Hurlstone [23] retrouvait une différence significative sur le nombre total d’adénomes. Au total, s’il paraît prématuré de recommander une chromoscopie systématique de tout le colon dans les populations à haut risque, l’emploi de celle-ci peut être conseillé dans les populations à très haut risque. Des études complémentaires sont cependant en attente pour définir de vraies recommandations.

2) L’endoscopie avec grossissement

Basé sur la classification des « pit patterns », l’endoscopie avec grossissement pourrait prétendre à modifier nos habitudes. Deux questions se dégagent pour justifier son utilisation : peut-on différencier un adénome d’un polype hyperplasique (et ainsi s’abstenir de biopsier ou de réséquer un polype) ; peut-on prédire le caractère dégénéré ou en dysplasie de haut grade (DHG) d’une lésion (et ainsi, éventuellement privilégier une chirurgie à une mucosectomie ou une mucosectomie en piece-meal à une mucosectomie en-bloc) ?

Les études japonaises donnent des performances très élevées pour la différence polype adénomateux/ polype hyperplasique pouvant atteindre une sensibilité de 98 % et une spécificité de 97 % [24]. Si ces performances sont très encourageantes, on ne peut cependant pas considérer qu’elles ont un réel impact pratique. Même pour Kudo, les pit patterns II et III sont trop peu spécifiques pour envisager de laisser la lésion en place. Il est également impossible d’exclure une lésion en DHG dans les pit patterns III.

Les rares études européennes [25, 26] confirment que si les performances sont bonnes pour différencier polype hyperplasique de polype adénomateux (sensibilité de 82 à 98 %, spécificité de 82 à 92 %), elles ne peuvent suffire à conseiller l’absence de biopsies ou de résection des polypes en fonction de leur pit patterns. Les indications de l’utilisation de l’endoscopie avec grossissement restent donc à préciser.

LE RAPPORT FINAL

C’est lui qui va être l’élément clé pour mettre en relief la qualité de la procédure. Il pourra comporter outre le texte, quelques clichés pour montrer la qualité de la préparation, l’objectif atteint et les éventuelles lésions. Sa rédaction est souvent incomplète. Ainsi l’étude américaine de Robertson [27] sur 122 centres, notait des carences multiples : sur les données démographiques dans 69 % des cas, sur l’histoire du patient dans 57 % des cas, sur la qualité de la procédure dans 40 % des cas, et sur l’interprétation ou la description des anomalies dans 58 % des cas. Des recommandations pourraient être également émises sur les éléments qui devraient être retrouvés dans un compte-rendu idéal.

Les critères de qualité d’une coloscopie devant servir de base à une recommandation sont multiples. La sélection des indications, l’information du patient et une préparation de qualité sont les préalables à l’examen. Si la technique de montée est importante pour augmenter le taux de coloscopie réussie, c’est la technique d’examen à la descente et l’aspect des lésions recherchées qui représente le principal challenge des endoscopistes occidentaux. L’utilisation de la chromoendoscopie dans des situations précises devrait par ailleurs se confirmer comme un atout essentiel pour augmenter la détection des petits polypes plans. C’est enfin la qualité du compte-rendu qui rendra compte de la qualité globale de la coloscopie. Les écueils représentés par l’élaboration d’une recommandation (jusqu’où aller avec de réelles bases scientifiques dans une recommandation qui pourrait être opposable. ?) sont évidents. L’intérêt d’en avoir une ne l’est pas moins, que ce soit pour améliorer notre service médical à nos patients ou pour justifier de la qualité de ce que nous faisons. Charge à nous d’impliquer tous les acteurs dans cette action très attendue des pouvoirs publics.

 

RÉFÉRENCES

1. Charles RJ, Chak A, Cooper GS, Wong RC, Sivak MV Jr. Use of open access in GI endoscopy at an academic medical center. Gastrointest Endosc 1999; 50: 480-5.

2. Neale G. Reducing risks in gastroenterological practice. Gut 1998; 42: 139-42.

3. Ness RM, Manam R, Hoen H, Chalasani N. Predictors of inadequate bowel preparation for colonoscopy. Am J Gastroenterol 2001; 96: 1797-802.

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5. Rex DK, Imperiale TF, Latinovich DR, Bratcher LL. Impact of bowel preparation on efficiency and cost of colonoscopy. Am J Gastroenterol 2002; 97: 1696-700.

6. Kastenberg D, Chasen R, Choudhary C, Riff D, Steinberg S, Weiss E, Wruble L. Efficacy and safety of sodium phosphate tablets compared with PEG solution in colon cleansing: two identically designed, randomized, controlled, parallel group, multicenter phase III trials. Gastrointest Endosc 2001; 54: 705- 13.

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