Prévention du Cancer Colo-rectal

Le cancer colo-rectal (CCR) est une maladie qui touche les pays développés en évoluant de façon « épidémique » et dont l’origine est inconnue. Il peut être : 1/ dépisté tôt ce qui diminue le coût de sa prise en charge et en améliore le pronostic pour les stades précoces (Dépistage) ; 2/ au mieux prévenu en enlevant les polypes coliques ou « adénomes » (Prévention).

L’actualisation des recommandations ANAES de 2004, menée par l’HAS en 2014, ne met aucune limite d’âge stricte à l’arrêt de la prévention ; au-delà de 80 ans, une réflexion individuelle doit être menée pour apprécier le rapport bénéfice/risque, en prenant en compte l’espérance de vie.

Population à risque moyen de CCR (80%)

En France, on fait le dépistage en population standard dit à risque moyen du CCR avec la recherche de sang dans les selles tous les 2 ans. On note 40 000 de nouveaux cas de CCR par an : soit, en 2011 une incidence de : 36,3 pour 100 000 hommes et 24,7 pour les femmes. La prévalence en 2005 du CCR est estimée à 224,9 pour 100 000 habitants pour les hommes et 152,6 pour les femmes (8% par période de 5 ans).

On regrette 17 500 morts par an, soit un mort toutes les 30 minutes !

En Allemagne, Angleterre, Pologne, aux USA et autres pays, une approche multimodale inclue la prévention avec le choix dans un panel d’examens dès 50 ans (dont la coloscopie qui protège à 90% sur 10 ans en enlevant les adénomes).

Sur 8 ans, avec 2 800 000 coloscopies réalisées avec un très faible taux de complications (< 3/1 000), nos confrères germaniques ont détecté :

Un CCR toutes les 100 personnes (0,9% – 1,2% chez les hommes, 0,7% chez les femmes).

Un adénome toutes les 5 personnes (19,4% – 25,8% chez les hommes, 16,7% chez les femmes).

L’ablation des adénomes coliques permettrait de diminuer de moitié l’incidence du CCR en France, d’éviter comme en Allemagne 100 000 CCR sur dix ans, tout en économisant une dizaine de milliards d’euros.

Cela nécessite la réalisation d’une coloscopie dans un contexte sécurisé, réglementaire avec des endoscopes performants et une excellente préparation colique.

Dès l’âge de 50 ans

Est préconisé en l’absence de risque élevé ou très élevé du CCR le choix entre :

  • Un dépistage du CCR par recherche de sang dans les selles avec des tests immunologiques faecaux tous les 2 ans. En expliquant au patient le taux de niveau de protection sur 10 ans (< 20%).

ou

  • Une prévention du CCR par coloscopie en prenant en compte ou pas un score de risque* avec une préparation optimale du côlon. Si coloscopie normale, contrôle à 10 ans en expliquant les risques inhérents à la technique notamment celui de perforation colique et sa prise en charge.

Et en cas de refus ou contre-indication provisoires à l’anesthésie:

  • Une Vidéo-capsule colique ou colo-scanner (taux de protection entre 70 et 80%, taux d’irradiation non négligeable pour le scanner et la muqueuse est non visualisée.

*Il existe aussi, d’individualisation plus récente, des facteurs de risque « environnementaux » (tabac, diabète, alcool, portage d’Helicobacter pylori, bésité, nutrition) responsables d’un surrisque significatif de CCR même en l’absence d’antécédents familiaux. Ces facteurs font l’objet de scores prédictifs de risque qui peuvent identifier les individus susceptibles de bénéficier d’une coloscopie et ceux relevant d’un dépistage organisé en population.

Avant 50 ans

Une coloscopie est préconisée :

  • En cas de douleurs abdominales et/ou constipation et/ou diarrhée en l’absence de réponse au traitement symptomatique.
  • En cas de présence de sang dans les selles.
  • En cas d’endocardite à Streptococcus bovis ou D.
  • En cas de transplantation d’organe.

Population à risque élevé et très élevé de CCR (20%)

Il est primordial de bien cibler les populations à risque élevé et très élevé de CCR (20% des français) d’autant que l’âge du début de la surveillance endoscopique peut varier selon les pathologies.

Risque élevé

Antécédent familial

  • Antécédent de CCR ou adénome 1er degré quel que soit l’ âge.
  • Antécédent de CCR multiples au 2ème et/ou 3ème degré quel que soit l ‘âge.
    • Coloscopie à 45 ans ou 5 ans avant selon le cas index, si celui-ci avait moins de 50 ans puis coloscopie à 5 et 10 ans.

Antécédent personnel

  • D’Acromégalie : coloscopie dès le diagnostic établi puis selon le résultat.
  • De CCR après chirurgie :
    • Coloscopie incomplète avant chirurgie contrôle entre 3 et 6 mois.
    • Coloscopie complète contrôle à 1 ou 2 ans puis 7-8 ans.
  • D’adénomes de bas grade (V3), ou d’adénomes avancés (taille ≥ 1cm, ≥ 3, dysplasie de haut grade ou carcinome in situ (V4.1, V4.2).
    • groupe de bas risque (PBR) = nombre d’adénomes inférieur à 3 ET taille inférieure à 10 millimètres ET dysplasie de bas grade;
    • groupe de haut risque (PHR) = nombre d’adénomes supérieur ou égal à 3 OU taille supérieure ou égale à 10 mm OU dysplasie de haut grade.

La présence dans l’adénome d’une composante villeuse n’est pas retenue.

Le premier contrôle est respectivement fixé à 5 ans et 3 ans en cas de PBR et de PHR ; cette même règle s’applique pour les contrôles successifs jusqu’à la coloscopie numéro 4 tant que des adénomes sont retrouvés.

    • En cas de contrôle négatif, si un PHR a été enlevé à l’une au moins des coloscopies précédentes (incluant la coloscopie index), une surveillance tous les 5 ans est requise jusqu’à la coloscopie numéro 4.
    • En cas de contrôle négatif, si les lésions enlevées précédemment sont toutes des PBR : contrôle numéro 2 à 10 ans puis arrêt de la surveillance avec retour au dépistage organisé populationnel. Ce schéma peut toutefois être renforcé en cas d’antécédents familiaux (de polyadénomes ou de cancer colo-rectal avant 60 ans) : coloscopie numéro 2 à 5 ans et coloscopie numéro 3 à 10 ans ou arrêt de la surveillance avec retour au dépistage organisé populationnel.

Les polypes festonnés (PF) sans dysplasie (y compris de bas grade) sont surveillés comme les PBR ; les polypes festonnés avec dysplasie (quelque soit le grade) sont surveillés comme les PHR.

Les polypes hyperplasiques (PH) du côlon droit (en amont de l’angle gauche) multiples et ceux de plus de 10 mm doivent faire l’objet d’une relecture anatomo-pathologique afin de ne pas méconnaître un PF.

Les PH de petite taille du recto-sigmoïde (inférieurs à 10 mm) sont surveillés en fonction du niveau de risque du patient lié aux antécédents familiaux.

En cas d’exérèse incomplète coloscopie à 3 mois.

  • D’adénomes transformés (V4.3, V4.4, V5) :
    • Exérèse incomplète V4.3, V4.4 : coloscopie à 3 mois puis à 3 ans si négatif.
    • Exérèse complète V4.3, V4.4 : coloscopie à 3 ans.
    • Exérèse complète V5 : coloscopie à 3 mois si pas de colectomie complémentaire décidée.

Risque très élevé

Polypose adénomateuse familiale (PAF)

Une surveillance endoscopique des sujets atteints d’une polypose adénomateuse familiale « atténuée » ou de suspicion clinique liée au gène APC est recommandée :

  • par coloscopie tous les 2 ans à partir de l’âge de 18-20 ans et coloscopie tous les 1-2 ans en cas d’adénomes peu nombreux et accessibles au traitement endoscopique.
  • après colectomie, surveillance endoscopique tous les ans du rectum.

Syndrôme du CCR héréditaire sans polypose (HNPCC)

En cas de suspicion clinique de syndrome de Lynch ou prédisposition génétique, il est recommandé une coloscopie totale de dépistage :

  • tous les 1 ou 2 ans dès l’âge de 20-25 ans associée à une chromo-endoscopie à l’indigo-carmin et à des conditions optimales de préparation et d’examen de la muqueuse colo-rectale.
  • il n’existe pas de limite d’âge supérieure à la surveillance en fonction de l’espérance de vie restante. 

En cas de préparation insuffisante, il ne faut pas hésiter à refaire l’examen dans un délai maximal d’un an.

Syndrôme du CCR héréditaire MUTYH

Une surveillance endoscopique des sujets atteints d’une polypose adénomateuse familiale « classique » ou de suspicion clinique liée au gène MUTYH est recommandée en cas de :

  • mutation bi-allélique de MUTYH par coloscopie tous les 2 ans avec chromo-endoscopie pan-colique à l’indigo-carmin à partir de l’âge de 20 ans. Le suivi doit être annuel dans le cas de polyposes profuses (≥ 50 adénomes colorectaux).
  • mutation mono-allélique de MUTYH et antécédent au 1er degré de CCR ou d’adénome avancé par coloscopie à 25 ans puis tous les 5 ans

Polypose juvénile (PJ)

  • Coloscopie totale tous les 2 ans à partir de l’âge de 15 ans¸ puis annuelle en cas de polype, et tous les 2 ans en l’absence de polype.

Syndrôme de Peutz-Jeghers (SPJ)

  • Coloscopie totale tous les 2-3 ans à partir de l’âge de 15 ans puis tous les 2 ans à partir de 25 ans.

Maladies inflammatoires digestives (MICI)

  • une coloscopie de surveillance doit être idéalement réalisée en phase inactive de la maladie et comporte une coloration à l’indigo carmin, avec biopsies ciblées. A défaut, la réalisation de biopsies aléatoires multiples est indispensable.
  • la première coloscopie de surveillance doit être réalisée entre 6 et 8 ans après le début des symptômes et comporter des biopsies multiples permettant d’évaluer l’extension de l’inflammation microscopique.
  • les coloscopies ultérieures doivent être programmées tous les 1-2 ans à 3-4 ans en fonction du nombre (1ou 2 ou 3 et 4) de facteurs de risque individuels chez chaque patient (pancolite, antécédent familial de CCR au 1er degré, présence de pseudopolypes, présence d’une inflammation microscopique chronique active). 
  • tous les patients porteurs de MICI associée à une CSP doivent bénéficier d’une coloscopie annuelle dès le diagnostic.

Conclusion

Le cancer colo-rectal peut être prévenu. Aussi la réalisation d’une coloscopie de prévention en population standard devrait pouvoir être proposée en France au même titre que la recherche de sang dans les selles à l’âge de 50 ans dans une approche multimodale visant à détecter et prévenir le CCR. 

D’autre part, il est important de connaitre son niveau de risque face à la maladie afin de bien cibler les populations à risque élevé et très élevé de CCR (20% des français), car l’âge du début de la surveillance endoscopie peut varier selon les pathologies.

Annexe

Classification de Vienne des lésions intra-épithéliales et des cancers superficiels selon Schlemper 2000

  • Catégorie V1 : pas de néoplasie
  • Catégorie V2 : indéfini pour la néoplasie
  • Catégorie V3 : néoplasie de bas grade
  • Catégorie V4 : néoplasie de haut grade
    • V4.1 – dysplasie de haut grade
    • V4.2 – cancer in situ (non invasif)
    • V4.3 – suspect d’être invasif
    • V4.4 – cancer infiltrant

Références

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