Traitement hormonal substitutif de la femme ménopausée : Effet protecteur vis-à-vis du risque de cancer colorectal

L’essai randomisé « Women Health Initiative » (WHI) publié en 2002 a fait couler beaucoup d’encre en mettant en évidence plus d’inconvénients que de bénéfices chez les femmes ménopausées recevant un traitement hormonal substitutif (THS) (1). Cependant un effet protecteur du THS semblait exister vis-à-vis du risque de cancer colorectal (CCR). Les résultats complets concernant THS et CCR viennent maintenant d’être publiés (2).

Patients et Méthodes

Dans l’étude WHI, 16608 femmes ménopausées, âgées de 50 à 79 ans, ont été randomisées en double aveugle entre THS (oestrogènes 0.625 mg/j + acétate de medroxyprogestérone 2.5 mg/j réunis en 1 comprimé) et placebo. Les patientes pouvaient être randomisées parallèlement de façon équilibrée dans 1ou 2 autres essais du WHI (Calcium + vitamine D et diététique). Les inclusions se sont déroulées dans 40 centres américains entre 1993 et 1998.

Résultats

Le suivi moyen a été de 5.2 ans. Les deux groupes étaient équilibrés pour toutes les caractéristiques étudiées y compris le BMI, le niveau d’activité physique, les variables diététiques, l’usage d’AINS ou d’aspirine et les antécédents personnels de polype mais plus de femmes présentaient des antécédents familiaux du 1er degré de CCR dans le groupe placebo que dans le groupe THS (14.2% versus 12.4%, p=0.004). Il n’y a pas eu plus d’examens de type hemoccult ou endoscopie dans l’un ou l’autre groupe durant le suivi.
Au total, 122 femmes ont développé un CCR avec, en intention de traiter, moins de CCR dans le groupe THS que dans le groupe placebo : 48 versus 74 (HR 0.74 [0.42-0.87] p=0.007). Après ajustement sur le facteur « antécédents familiaux de CCR », voire après élimination des 54 cas de CCR chez des femmes ayant de tels antécédents, la différence restait hautement significative.

Sur le plan topographique les cancers coliques semblaient plus nombreux chez les femmes sous placebo que chez celles sous THS (61 cas versus 35, p=0.004) alors que la différence n’était pas significative pour les cancers du rectum (11 cas versus 8, p=0.37).

En revanche, il existait plus fréquemment un envahissement ganglionnaire dans les cas de CCR chez les femmes sous THS (N+/THS 59% versus N+/placebo 29.4%, p=0.003) avec également un plus grand nombre de ganglions envahis et un stade plus avancé au moment du diagnostic.

Enfin en cas de CCR chez une femme sous THS, l’existence d’un antécédent de saignement vaginal était associé à un nombre supérieur de ganglions envahis.

Commentaires

Un rôle protecteur du THS vis-à-vis du risque de CCR avait déjà été souligné par plusieurs études observationnelles mais n’avait jamais rapporté dans une étude randomisée. Il est intéressant de remarquer que cet effet protecteur semble obtenu après une courte période de THS (5 ans)suggérant un effet sur des lésions déjà existantes . Sur le plan physiopathologique un mécanisme faisant intervenir une baisse de la glycémie et de l’insulinémie constatée chez les patientes sous THS pourrait intervenir. En effet ces paramètres ont récemment été rapportés comme des facteurs de risque de CCR chez les diabétiques(3).Des modifications des acides biliaires ou des récepteurs oestrogéniques de l’épithélium glandulaire colique , sous l’influence du THS, sont également évoquées. Le plus grand nombre de saignement vaginal sous THS pourrait expliquer le retard au diagnostic de CCR et le stade plus avancé au moment du diagnostic chez les femmes traitées.

Sur le plan pratique le dépistage doit s’appliquer aussi bien chez les femmes ne recevant pas de THS en raison de leur risque plus grand de CCR que chez les femmes traitées moins souvent touchées mais à un stade plus évoluée de la maladie.

Pascal Artru, Gérard Lledo.

Références

1. Rossouw JE, Anderson GL, Prentice Rl et al. Risks and benefits of estrogen plus progestin in healthy postmenopausal women : principal results from the Women’s Health Initiative randomized controlled trial. JAMA 2002; 288:321-33.

2. Chlebowski RT, Wactawski-Wende J, Ritenbaugh C et al. Estrogen plus progestin and colorectal cancer in postmenopausal women. N Engl J Med 2004;350:991-1004.

3. Chang CK,Ulrich CM .Hyperinsulaemia and hyperglycaemia:possible risk factors of colorectal cancer among diabetic patients. Diabetologia 2003;46:595-607