Statines et cancer colorectal (CCR) : Existe-il un effet protecteur réel ?

En juin 2004, les résultats de l’étude MECC(Molecular Epidemiology of CCR Study) étaient présentés en séance plénière à l’ASCO à la Nouvelle Orléans. Les sujets sous statines semblaient bénéficier d’une réduction du risque de survenue d’un CCR de 51% par rapport à une population témoin appariée ne prenant pas de statines (1). Cependant ces résultats ne semblent pas en plein accord avec ceux de deux autres études récentes parues sur le même sujet dans le Lancet (2) et le Journal of Clinical Oncology (3).

  • L’étude 4S (Scandiniavan Simvastatin Survival Study)(2) était un essai de phase III en double aveugle dans lequel des patients coronariens avec dyslipidémie recevaient soit un placebo soit de la simvastatine (2). La durée médiane de l’essai fut de 5.4 ans avec 414 patients traités par simvastatine et 468 par placebo. Le suivi médian des patients fut de 10.4 ans. Si le bénéfice du traitement par statines en terme d’évènements cardiovasculaires fut publié dans le Lancet dès 1994, les données de survie à ce jour ne mettent en évidence aucune réduction du risque de décès par cancer dans l’un ou l’autre des groupes : 85 décès par cancer dans le groupe simvastatine contre 100 dans le groupe placebo (RR=0,81 [0,6-1,08] ; p=0,14). L’incidence des cas de cancer ne diffère pas non plus de façon significative (227 cas contre 248, p=0,15). Le détail des types de cancer ne permet pas non plus de dégager un effet protecteur spécifique de la simvastatine (CCR : 25 cas versus 32, estomac 7 vs 7, pancréas 9 vs 10 : NS).
  • Par ailleurs une étude cas-témoins a été réalisée de façon rétrospective en Hollande à partir des données d’un recueil des prescriptions médicamenteuses de 8 villes (3). Les patients avec prescription de statines pour une affection cardio-vasculaire entre 1985 et 1988 ont été appariées chacun à 4 à 6 témoins, avec ajustement sur les autres prescriptions médicamenteuses ou les autres tares (diabète..). Au total, 3129 cas ont été appariés avec 16976 sujets contrôles. Le suivi moyen a été de 7 ans. L’usage de statines était associé avec une réduction de 20% du risque de cancer (OR 0,8 [IC 95 : 0,66-0,96]), avec un effet protecteur obtenu uniquement en cas de prise prolongée (>4 ans ou 1350 prises quotidiennes). Toutefois l’analyse détaillée ne retrouvait pas d’effet protecteur significatif spécifique pour le CCR mais principalement pour le cancer rénal (3).

Au total la question de l’effet protecteur éventuel des statines sur la survenue d’un cancer colo-rectal reste débattue. En l’absence d’étude prospective dédiée spécifiquement à l’incidence des polypes ou des CCR sous statines, toute recommandation à des fins prophylactiques semble très prématurée au vu de ces résultats contradictoires et il faudra sans aucun doute attendre pour cela le résultat des études d’intervention déjà lancées aux USA et en Israël.

  1. Poynter JN et al. Proc Am Soc Clin Oncol 2004, A1.
  2. Strandberg TE, Pyorala K, Cook TJ et al. Mortality and incidence of cancer during 10-year follow-up of the Scandinavian Simvastatin Survival Study (4S). Lancet 2004;364:771-7.
  3. Graaf MR, Beiderbeck AB, Egberts AC et al. The risk of cancer in users of statins. J Clin Oncol 2004; 22:2388-94.24;5

La résection hépatique demeure le seul moyen d’obtenir chez les patients porteurs de métastases hépatiques d’origine colorectale (MHCCR) une rémission prolongée ou une guérison .Malheureusement les possibilités de résection complète d’emblée restent limitées .Les progrès de la chimiothérapie (CT) ces 10 dernières années ont cependant permis de rendre techniquement résécables par un downstaging suffisant des MHCCR initialement au dessus de toute ressource chirurgicale .Le bénéfice de cette stratégie médico-chirurgicale lourde ,largement illustré dans la littérature,reste néanmoins encore débattu et les facteurs pronostiques font défaut pour sélectionner les patients qui pourraient en bénéficier .L’équipe de Paul Brousse , internationationalement reconnue comme experte en matière de chirurgie des métastases hépatiques, tente de combler ces lacunes en nous livrant dans le numéro d’octobre 2004 d ‘Annals of Surgery son exceptionnelle expérience de 11ans (1) .

Patients et méthodes 

D’avril 1988 à Juillet 1999, 1439 patients porteurs de MHCCR ont été pris en charge dans cette institution. Parmi eux 335(23%)ont pu bénéficier d’une résection d’emblée , alors que 1104 (77%) jugés non résécables ont été traités par une CT initiale et réévalués par la même équipes et selon les mêmes critères tous les 4 cycles de traitement en vue de définir ,en cas de réponse tumorale, les éventuelles nouvelles possibilités opératoires .

Parmi ces 1104 sujets, finalement 138 (12%) ont pu être conduits à une résection complète de leur(s) métastase(s) hépatique(s)  après une moyenne de 10 cycles de CT .Au début de son expérience ,l’équipe proposait une procédure chirurgicale lorsque la taille tumorale avait atteint un plateau (ne diminuait plus) alors que plus récemment l’option d’intervenir dès que cela devenait techniquement possible a été adoptée. Pour atteindre la résécabilité ,des techniques spécifiques ont été parfois nécessaires telles que l’embolisation portale du foie tumoral ( 9 % des cas) ou les procédures de radiofréquence ou de cryothérapie (14 % ).L’hépatectomie du être pratiquée en 2 temps dans 11% des cas . Une résection extrahépatique ( poumon , péritoine, ganglion coeliaque ou du hile hépatique, ovaire,os) avant , pendant ou après l’hépatectomie a été nécessaire chez 52 patients (38%). Une CT post-opératoire de 6 à 8 cycles étaient systématiquement proposée et interrompue en l’absence de foyer tumoral persistant ou de récidive.

Résultats 

Il fut enregistré une mortalité totale à 2 mois de 0.7% pour une morbidité postopératoire de 28 % .Une réponse complète histologique fut notée sur 7.2% des pièces d’hépatectomie .Le suivi global de 48.7 mois a permis de constater 40 rechutes hépatiques exclusives (29%) ,12 rechutes extrahépatiques exclusives (9%) et 59 rechutes mixtes intra et extrahépatiques (43%) conduisant à une seconde hépatectomie 71 fois et à un nouveau geste d’exérèse extrahépatique 77 fois !

Il fut noté une survie globale respectivement à 3, 5 et 10 ans de 52, 33 et 23 % alors qu’elle était aux mêmes dates pour les patients réséquée d’emblée de 66,48 et 30% , soit un avantage significatif pour ces derniers (p 0.01). Une survie médiane de 39 mois était enregistrée alors qu’il faut rappeler qu’elle se situe toujours en dessous de 25 mois par CT exclusive y compris avec les meilleurs protocoles actuels.

En analyse multivariée 4 variables préopératoires étaient indépendamment liées à un pronostic défavorable  : Un siège rectal de la lésion primitive, l’existence de 3 métastases ou plus , une taille tumorale maximale de plus de 10 cm et enfin un taux de CA 19-9 supérieur à 100 UI/L (alors que le taux d’ACE préopératoire ne ressortait pas comme prédictif de la survie en analyse multivariée)

En conclusion, cette remarquable série monocentrique confirme le gain en survie globale et les possibilités de guérison définitive obtenues par une attitude médicochirurgicale « agressive » qui permet de rendre résécables 12.5 % des patients porteurs de MHCCR initialement non résécables, la survie demeurant cependant inférieure à celle des patients opérés d’emblée. Les facteurs pronostiques définis dans ce travail nous aideront sans doute à mieux sélectionner nos patients susceptibles de bénéficier d’une telle stratégie.

(1) Adam R et al .Rescue Surgery for Unresectable Colorectal Liver Metastases Downstaged by Chemotherapy. A Model to Predict Longterm Survival. Ann Surg.2004;240:644-658.