Résécabité secondaire après chimiothérapie de métastases hépatiques d’origine colorectale initialement non résécables. Quel bénéfice réel et à quel prix ?

La résection hépatique demeure le seul moyen d’obtenir chez les patients porteurs de métastases hépatiques d’origine colorectale (MHCCR) une rémission prolongée ou une guérison .Malheureusement les possibilités de résection complète d’emblée restent limitées .Les progrès de la chimiothérapie (CT) ces 10 dernières années ont cependant permis de rendre techniquement résécables par un downstaging suffisant des MHCCR initialement au dessus de toute ressource chirurgicale .Le bénéfice de cette stratégie médico-chirurgicale lourde ,largement illustré dans la littérature,reste néanmoins encore débattu et les facteurs pronostiques font défaut pour sélectionner les patients qui pourraient en bénéficier .L’équipe de Paul Brousse , internationationalement reconnue comme experte en matière de chirurgie des métastases hépatiques, tente de combler ces lacunes en nous livrant dans le numéro d’octobre 2004 d ?Annals of Surgery son exceptionnelle expérience de 11ans (1) .

Patients et méthodes

D’avril 1988 à Juillet 1999, 1439 patients porteurs de MHCCR ont été pris en charge dans cette institution. Parmi eux 335(23%)ont pu bénéficier d’une résection d’emblée , alors que 1104 (77%) jugés non résécables ont été traités par une CT initiale et réévalués par la même équipes et selon les mêmes critères tous les 4 cycles de traitement en vue de définir ,en cas de réponse tumorale, les éventuelles nouvelles possibilités opératoires .

Parmi ces 1104 sujets, finalement 138 (12%) ont pu être conduits à une résection complète de leur(s) métastase(s) hépatique(s)  après une moyenne de 10 cycles de CT .Au début de son expérience ,l’équipe proposait une procédure chirurgicale lorsque la taille tumorale avait atteint un plateau (ne diminuait plus) alors que plus récemment l’option d’intervenir dès que cela devenait techniquement possible a été adoptée. Pour atteindre la résécabilité ,des techniques spécifiques ont été parfois nécessaires telles que l’embolisation portale du foie tumoral ( 9 % des cas) ou les procédures de radiofréquence ou de cryothérapie (14 % ).L’hépatectomie du être pratiquée en 2 temps dans 11% des cas . Une résection extrahépatique ( poumon , péritoine, ganglion coeliaque ou du hile hépatique, ovaire,os) avant , pendant ou après l’hépatectomie a été nécessaire chez 52 patients (38%). Une CT post-opératoire de 6 à 8 cycles étaient systématiquement proposée et interrompue en l’absence de foyer tumoral persistant ou de récidive.

Résultats 

Il fut enregistré une mortalité totale à 2 mois de 0.7% pour une morbidité postopératoire de 28 % .Une réponse complète histologique fut notée sur 7.2% des pièces d’hépatectomie. Le suivi global de 48.7 mois a permis de constater 40 rechutes hépatiques exclusives (29%) ,12 rechutes extrahépatiques exclusives (9%) et 59 rechutes mixtes intra et extrahépatiques (43%) conduisant à une seconde hépatectomie 71 fois et à un nouveau geste d’exérèse extrahépatique 77 fois !

Il fut noté une survie globale respectivement à 3, 5 et 10 ans de 52, 33 et 23 % alors qu’elle était aux mêmes dates pour les patients réséquée d’emblée de 66,48 et 30% , soit un avantage significatif pour ces derniers (p 0.01). Une survie médiane de 39 mois était enregistrée alors qu’il faut rappeler qu’elle se situe toujours en dessous de 25 mois par CT exclusive y compris avec les meilleurs protocoles actuels.

En analyse multivariée 4 variables préopératoires étaient indépendamment liées à un pronostic défavorable  : Un siège rectal de la lésion primitive, l’existence de 3 métastases ou plus , une taille tumorale maximale de plus de 10 cm et enfin un taux de CA 19-9 supérieur à 100 UI/L (alors que le taux d’ACE préopératoire ne ressortait pas comme prédictif de la survie en analyse multivariée)

Conclusion

En conclusion, cette remarquable série monocentrique confirme le gain en survie globale et les possibilités de guérison définitive obtenues par une attitude médicochirurgicale « agressive » qui permet de rendre résécables 12.5 % des patients porteurs de MHCCR initialement non résécables, la survie demeurant cependant inférieure à celle des patients opérés d’emblée. Les facteurs pronostiques définis dans ce travail nous aideront sans doute à mieux sélectionner nos patients susceptibles de bénéficier d’une telle stratégie.

(1) Adam R et al .Rescue Surgery for Unresectable Colorectal Liver Metastases Downstaged by Chemotherapy. A Model to Predict Longterm Survival. Ann Surg.2004;240:644-658.