Savoir gérer les effets secondaires de la chimiothérapie

Les médicaments de chimiothérapie anticancéreuse ne cessent d’arriver sur le marché offrant des possibilités thérapeutiques innovantes et efficaces dans de nombreux cancers. Très souvent ces médicaments anticancéreux sont utilisés en polychimiothérapie pour bénéficier d’effets synergiques. Cela rend leur prescription délicate et complique les modalités de surveillance des patients . En effet, le facteur limitant essentiel de ces différents principes actifs reste leur toxicité ce qui justifie une prescription et les séances de traitement en service spécialisé.

Plusieurs types de toxicités doivent être considérées : aigües ou non, réversibles ou non, générale ou spécifique.

Certaines toxicités peuvent être spécifiques à une drogue, ou communes à plusieurs d’entre elles. L’association des médicaments ainsi que l’apparition de lignes thérapeutiques multiples successives compliquent la gestion de ces toxicités.

Pour lutter contre les effets indésirables de ces médicaments une « chimioprotection » peut être nécessaire, voire indispensable dans certains cas. Elle doit être prescrite à bon escient afin de ne pas créer de désordres iatrogènes.

I Les règles de base

Quelques attitudes simples doivent être systématiques :

  • L’écoute du patient : il faut prendre le temps et laisser le patient s’exprimer afin de bien évaluer les effets indésirables qui sont très variables d’un individu à l’autre.

  • Ne pas oublier de soigner l’angoisse . Celle ci peut majorer les effets secondaires et générer des prescriptions non adaptées. Il faut donc évaluer un tel état et proposer, si nécessaire, une prise en charge adaptée ( par exemple : psycho oncologie, médicaments, méthodes de relaxation, groupes de paroles..).

  • Savoir adapter les posologies sans nuire à l’efficacité. Rendre service au malade pour diminuer les effets secondaires, en réduisant trop les doses, ne lui rend pas service si le traitement est inefficace sur la tumeur. Le compromis n’est pas toujours facile.

  • Ne pas hésiter à prescrire des « correcteurs ». Comme il est détaillé ci-dessous il y en a de nombreux.

II Toxicité aigüe

Elle apparaît pendant l’administration du traitement ou pendant l’intercure. Elle est le plus souvent réversible, et non dépendante de la dose cumulée.

  • Les médicaments responsables : tous potentiellement.
  • Les protecteurs : les facteurs de croissance : GCSF, GMCSF ( par exemple : Granocyte 263 ou Neupogen ou neulasta)
    Ce sont des progéniteurs de la lignée granulocytaire qui activent la maturation des cellules souches de la moelle osseuse en cellules « matures », et favorisent leur passage dans le sang.
  • Toxicité des protecteurs : douleurs osseuses et musculaires
  • Indications des protecteurs  : Intensification et greffes de moelle, traitements attendus aplasiants, aplasies fébriles trainantes, antécédents d’aplasies fébriles récurrentes
  • Les médicaments responsables : par ex le cisplatine.
  • Les protecteurs : l’érythropoiétine ( Eprex, Néorecormon).
    Cette substance normalement secrétée par le rein augmente la différenciation et mitoses de la lignée érythroïde
  • Toxicité des protecteurs : hypertension artérielle. ( attention aux contrôles antidopages pour les patients sportifs ! !)
  • Indications des protecteurs  : anémie, traitement long avec antécédents de transfusions

En cas de nécessité ( par ex Hémoglobine inférieure à 8 g/100ml ou apparition de signes cliniques ) on a recours à des transfusions de culots globulaires.

La neutropénie

Le risque infectieux devient vital quand les PNN sont inférieurs à 500/mm 3.

L’anémie

Il s’agit d’une anémie normochrome parfois sévère

Thrombopénies

Il y a risque de saignement si les plaquettes sont inférieures à 20 000 /mm 3.

Il n’y a pas actuellement de traitement correcteur. Il faut gérer cette situation en reportant les cures de chimiothérapie ou en adaptant les doses. Si nécessaire, il faut hospitaliser le patient pour surveillance et /ou transfusions de concentrés plaquettaires.

  • Toxicité centrale par stimulation d’une zône cérébrale proche du thalamus
  • Toxicité périphérique par les troubles de motricité digestive, associés aux pertubations engendrées par les produits de dégradation de la muqueuse digestive sous l’effet des médicaments
  • Les nausées et vomissements anticipés
  • Les nausées et vomissements aigüs
  • Les nausées et vomissements retardés
    • La molécule : dompéridone (motilium)
      C’est un modificateur de la motricité digestive qui stimule la libération d’acétyl choline au niveau intestinal
      Toxicité : crampes abdominales, céphalées, gynécomastie lors d’utilisation prolongée, rarement convulsions
      Indications : nausées / vomissements à distance de la chimiothérapie >
    • metoclopramide (Primpéran)
      Action dopaminergique sur les récepteurs cérébraux, et périphérique par l’action antisérotonine.
      Toxicité  : sédation, diarrhées, effets extrapyramidaux
      Indications : nausées / vomissements immédiats et post chimiothérapie
    • corticostéroïdes ( Solupred, Cortancyl)
      agissent sur les produits de dégradation du métabolisme intestinal et par action centrale
      Toxicité : rétention d’eau, rougeurs, excitation.
      Indications : nausées / vomissements immédiats et différés de la chimiothérapie

Leur action est d’arrêter les nausées et/ou vomissements

  • Antiémétiques d’action centrale
    • Phénothiazines : exemple : chlorpromazine (Largactil), métopimazine (Vogalène).
      L’un traverse la barrière hématoencéphalique, l’autre pas.
      Toxicité : hyperthermie du Largactil, dyskinésies, atropiniques
      Indications : nausées / vomissements post chimiothérapie
    • Anti HT3 : ondasétron ( Zophren), granisétron ( Kytril).
      Ils agissent par action directe sur le centre du vomissement cérébral. Leur prix élevé justifie une prescription spéciale par des médecins hospitaliers.
      Toxicité : céphalées, hypotension, constipation.
      Indications : nausées / vomissements immédiats et dans les 4 jours suivant le traitement. Il est inutile de les prescrire au delà. 
  • Antiémétiques d’action périphérique
  • Antiémétiques d’action périphérique et centrale

Le risque émétogène

Il s’agit de la probabilité d’une molécule de donner des vomissements. Les médicaments de chimiothérapie sont repartis en 4 classes selon leur potentiel émétogène.

Classification des médicaments de chimiothérapie selon leur risque émétogène :

Classe I : émetisants faibles (<30%)

Classe II : émétisants modérés
( 30 à 60%)

Classe III : émétisants élevés
( 60 à 90%)

Classe IV : émétisants extrèmes
(>90%)

?  5FU

< 100mg /m²

?  metotrexate

< 100mg /m²

?  cyclophospha-mide

?  taxanes

?  Cyclophosphamide

< 1000 mg /m²

?  5FU> 1000mg/m²

?  Topotécan

?  Doxorubicine < 75 mg /m²

?  Gemcitabine

?  Cisplatine

< 75 mg /m²

?  Oxaliplatine

?  Carboplatine

?  CPT 11

?  Mitomycine

?  Anthracyclines bonne dose

?  Cytarabine 250 à 1000 mg /m²

?  Cisplatine

> 75 mg /m²

?  Cyclophosphamide > 1000 mg /m²

?  Streptozotocine

?  Pentostatine

?  Cytarabine

Le mécanisme des nausées / vomissements

L’origine des troubles est mixte :

Facteurs de variabilité individuels du risque émétogène

Certains facteurs sont connus pour augmenter le risque émétogène : le sexe féminin, le jeune age, des antécédents de nausées faciles ( voiture etc..), l’anxiété, certaines localisations cancéreuses

Il existe 3 types de nausées et vomissements

les antiémétiques

  • Angor spastique (ex : 5FU, navelbine). Dans les quelques cas particuliers où on doit poursuivre le traitement cela se fait sous contrôle étroit avec éventuellement perfusion d’inhibiteurs calciques.
    Attention il existe des CI absolues au 5FU (angor instable par exemple)
  • Choc cardiogénique grave anaphylactoide :
    Il s’agit d’une complication très grave où le pronostic vital du patient est engagé. En cas de choc il est nécessaire de transférer le patient en urgence en réanimation, après avoir pris les mesures appropriées dans le service.
    Ce risque est connu pour certains médicaments ( par ex taxanes, VP 16) . Afin d’éviter cette situation il est indispensable de faire une prémédication systématique avec corticothérapie avant le passage du traitement. 
  • Le cisplatine peut donner une insuffisance rénale tubulaire par fixation sur le parenchyme rénal
    La prévention se fait par une hyperhydratation et hyperdiurèse alcaline, surveillée en hospitalisation.
  • le metotrexate peut créer une nécrose des tubes contournés rénaux avec une précipitation sous forme de cristaux.
    Là encore il faut une hyperhydratation préventive.
  • La mitomycine peut être responsable d’un syndrome hémolytique et urémique, ce qui justifie la surveillance de la fonction rénale pendant ce traitement, et la nécessité de pauses thérapeutiques régulières afin d’éviter l’apparition des troubles.

 

Toxicité hématologique

Elle est réversible, mais peut être prolongée. Le nadir est la période où la numération formule sanguine est au plus bas dans l’intercure.

Nausées et vomissements

Ils concernent presque tous les cytostatiques.

Toxicité sur les muqueuses 

Certains médicaments (Ex : 5FU, CPT11, taxanes, metotrexate), sont plus susceptibles que d’autres d’engendrer une irritation des muqueuses ( digestive, génitale) qui peut se traduire au niveau de la bouche par des aphtes. Ces troubles sont pérennisés par des infections fongiques et/ou un herpès chez les patients porteurs.

Le traitement est des bains de bouche à base de fungizone et bicarbonates, qui peuvent être avalés en cas d’atteinte de l’ensemble du tube digestif. Il est parfois utile d’y associer des antiherpétiques (Zelitrex).

Toxicité digestive

Elle est de plusieurs types : soit une diarrhée exudative (CPT11, 5FU), soit une constipation ( poisons du fuseau).

Les correcteurs sont des antidiarrhéiques (Imodium) ou des traitements de la constipation ( Forlax etc..) toujours associés si besoin à une réhydratation entérale ou parentérale et à un ré2quilibre ionique .

Toxicité cardiaque

Là encore la toxicité peut être diverse :

Toxicité vésicale : cystite hémorragique

La cystite hémorragique est liée à l’agression de la muqueuse vésicale par un métabolite des médicaments concernés (ifosfamide, métotrexate).
L’antidote de l’agent agresseur est le Mesna (uromitexan) qui peut être prescrit en perfusion ou comprimés.
Les effets secondaires du Mesna : encéphalopathies, prurit

Toxicité rénale

Les toxicités sont variables selon les molécules

Toxicité par extravasation

Les médicaments de chimiothérapie sont dangereux, car délabrants pour la peau et le tissu sous cutané en cas d’extravasation du produit. Certains d’entre eux sont particulièrement redoutables : anthracyclines, poisons du fuseau.

L’extravasation est une urgence. Il faut immédiatement : arrêter la perfusion, laisser l’aiguille en place et appeler un médecin. Ce dernier prendra, dans les minutes qui suivent l’accident, les mesures nécessaires avec, dans la quasi totalité des cas, un transfert très rapide du patient en chirurgie plastique pour au minimum un avis.

Pour éviter cet accident grave, tous les malades qui reçoivent une chimiothérapie sont équipés en France d’un site implantable (voir chapitre). Il faut s’assurer que le site est fonctionnel avant chaque pose de perfusion contenant la chimiothérapie. Dans les quelques cas où les patients ne sont pas porteurs de PAC, leur état veineux doit être impeccable pour envisager de leur passer de la chimiothérapie en périphérie. Les traitements doivent être faits en milieu spécialisé.

III TOXICITE RETARDEE

Ce type de toxicité doit être anticipé. Les troubles apparaissent à la fin ou après arrêt du traitement. Ils ne sont pas toujours réversibles. Ils sont plus ou moins dépendants de la dose cumulée. Les malades sont prévenus de leur existence.

Alopécie

Toutes les chimiothérapies ne sont pas alopéciantes. Cette information est importante car pour beaucoup de malades chimiothérapie = alopécie, ce qui est faux. Avec certains schémas thérapeutiques les patients gardent leurs cheveux. Pour certains médicaments elle est inévitable (anthracyclines, cisplatine , vinorelbine), pour d’autres elle est variable selon les individus ( CPT 11). Dans tous les cas les patients reçoivent l’information. Une prothèse capillaire est proposée aux patients. Elle est remboursée partiellement par la caisse d’ assurance maladie après entente préalable.
Le port de casque réfrigérant pendant la cure de chimiothérapie peut limiter la perte de cheveux , et par protection du follicule pileux favoriser la repousse.
La repousse débute dès la fin du traitement médicamenteux. Il faut se souvenir que l’alopécie induite par radiothérapie (sur des métastases cérébrales) est plus définitive.

Antiémétiques d’action périphérique

Il s’agit le plus souvent d’une atteinte sensitive touchant les extrémités, de type fourmillements, perte de sensibilité. Le plus souvent ces symptômes sont régressifs – plus ou moins lentement- à l’arrêt du traitement. Si ce dernier est interrompu trop tard, ou dans quelques rares cas, l’ impotence fonctionnelle peut s’installer, et rester plus ou moins définitive. Ces cas sont peu fréquents lorsque le suivi médical du patient est systématique avant le passage du traitement.

Les médicaments responsables sont le cisplatine, les taxanes, l’ oxaliplatine.

Il n’existe pas, aujourd’hui, de traitement protégeant de ces risques ou favorisant la disparition des symptômes lorsque ceux ci sont apparus.

Neurologique centrale

Avant d’accuser le traitement de chimiothérapie de toxicité il faut penser à éliminer les différentes causes de signes d’atteintes cérébrales : métastases, traitements associés, dépression ??

Il existe différents types d’effets secondaires cérébraux :

  • Syndrome cérebelleux : aracytine, ifosfamide,
  • Encéphalopathie : taxanes, 5FU haute dose, metotrexate,
  • Surdité : cisplatine

Il n’y a pas de médicaments correcteurs. Il faut arrêter le traitement de façon définitive.

Cardiaque

Les anthracyclines peuvent donner une insuffisance cardiaque par atteinte du muscle myocardique. Avant tout traitement par ces médicaments il est habituel de vérifier la fonction cardiaque. En cas de doute, un cardioprotecteur peut être mis en route ( cardioxane).

Atteinte gonadique

Les traitements cytostatiques bloquent la formation des cellules de la reproduction . Les hommes peuvent s’ils le souhaitent faire un don de sperme avant de débuter leur traitement. Celui ci sera congelé.

Pour les jeunes femmes il y a possibilité dans certains cas de faire une conservation d’ovocytes.

CONCLUSION

Les correcteurs des effets secondaires de traitement anticancéreux facilitent les polychimiothérapies :

  • Ils diminuent les effets secondaires du traitement et les coûts liés aux complications potentielles.
  • Ils permettent d’augmenter la dose ? intensité de la molécule reçue, la compliance du patient au traitement, la qualité de vie.

Mais ils ont eux même des effets indésirables et un coût parfois important.