Mécanisme de la cancérogénèse

Le cancer correspond à une prolifération désordonnée de cellules d’un tissu ou d’un organe. Or la plupart des cellules de notre organisme sont en renouvellement constant. C’est le cas par exemple des cellules de la peau, de la moelle osseuse, du tube digestif, ou des os. Il existe donc des mécanismes biologiques qui empêchent que cette prolifération normale ne soit excessive. Les cellules cancéreuses sont des cellules qui n’ont plus la capacité d’être soumises aux contrôles normaux de la croissance cellulaire. La deuxième grande caractéristique de la cellule cancéreuse est sa capacité à migrer et à envahir des tissus ou organes différents de celui d’origine.

I. Les cellules cancéreuses

Morphologiquement, les cellules cancéreuses possèdent des caractéristiques communes. Elles ont une taille supérieure à celle des cellules normales, avec un noyau de taille et de morphologie anormale, souvent irrégulier, bosselé. L’aspect du cytoplasme est également souvent modifié. Des colorations spécifiques servent d’ailleurs à identifier les cellules tumorales au microscope.

Au sein d’une tumeur, il existe de multiples sous-populations de cellules ayant des caractéristiques biochimiques, biologiques et immunologiques différentes. Certaines cellules sont en cours de division, d’autres sont dites différenciées et ne se diviseront plus. Enfin, d’autres encore ne se divisent pas mais sont en attente d’un signal pour se diviser. Les cellules en division représentent la majeur partie des cellules qui composent une tumeur. La croissance tumorale est exponentielle. On considère qu’une tumeur est cliniquement décelable à partir de 109 cellules. Il existe donc une phase dite infra-clinique pendant laquelle la tumeur est présente mais n’est pas décelable.

Le temps de doublement d’une tumeur n’est pas constant. Il dépend du nombre de cellules en cours de division, de la durée du cycle cellulaire et du nombre de cellules qui meurent au sein de la tumeur. La mort cellulaire survient en général par anoxie (insuffisance d’oxygénation), au centre de la tumeur ou par apoptose (mort cellulaire programmée).

 

II. La transformation

Chaque division d’une cellule (mitose) donne naissance à deux cellules « filles » dont les gènes contenus dans le noyau sont identiques. Chaque gène est représenté par une séquence d’ADN bien précise. La transcription d’un gène donné aboutit à la synthèse d’une protéine donnée ayant un rôle bien précis. Si des modifications du gène surviennent, cela peut aboutir à l’absence de synthèse de la protéine en question ou à une synthèse anormale (augmentation ou réduction de synthèse, protéine inactive.). Au fur et à mesure des divisions cellulaires, des modifications de certains gènes surviennent. Il s’agit d’altérations géniques qui seront transmises aux cellules filles. La transformation d’une cellule normale en cellule cancéreuse provient de modifications successives des gènes de régulation. Le plus souvent, les cellules cancéreuses dérivent toutes d’une cellule ayant subi ces différentes altérations génétiques qui sont transmises de façon héréditaires.

On distingue deux familles de gènes impliqués dans la cancérogenèse :

  • Les oncogènes, qui sont les gènes qui, lorsqu’ils sont activés ou surexprimés ; induisent des signaux de prolifération cellulaire
  • Les anti-oncogènes ou gènes suppresseurs de tumeur, qui sont les gènes qui, à l’état normal, freinent la prolifération cellulaire. Lorsqu’ils sont inactivés par une mutation, par exemple, ils n’exercent plus leur rôle de régulation négative.

Schématiquement, à l’état normal, il existe un équilibre entre l’expression des oncogènes et des gènes suppresseurs de tumeur. Des mutations successives de ces gènes rompent cet équilibre, entraînant une prolifération excessive des cellules tumorales.

Signalisation cellulaire

1. Les oncogènes

Les mutations des oncogènes sont souvent des mutations qui rendent ce gène hyperactif. Il peut s’agir également de 2 gènes distants l’un de l’autre qui fusionnent pour former un nouveau gène qui n’existe pas à l’état normal. Plus d’une centaine d’oncogènes ont été identifiés. La plupart présentent des structures analogues à celle de certains virus.

Les oncogènes sont des gènes codant pour des protéines impliquées dans la prolifération cellulaire. Il s’agit de protéines impliquées dans la cascade de transmission du signal, depuis le milieu extracellulaire jusqu’au noyau de la cellule. C’est le cas, par exemple des gènes codant pour des facteurs de croissance (protéines du milieu extracellulaire destinées à stimuler la prolifération d’autres cellules), leurs récepteurs membranaires, ou encore l’ensemble des protéines servant à la diffusion du message depuis la membrane jusqu’au noyau.

Certains oncogènes ont la capacité d’empêcher la mort cellulaire physiologique (apoptose). L’apoptose est un phénomène naturel régulé par des gènes précis, qui vise à éliminer certaines cellules de l’organisme par mort cellulaire programmée. Le blocage de l’apoptose aboutit à une prolifération cellulaire non contrôlée.

2. Les anti-oncogènes ou gènes suppresseurs de tumeur

Les anti-oncogènes sont également présents dans toutes les cellules normales, mais elles interviennent de façon négative sur la multiplication cellulaire. C’est lorsque cette fonction est perdue que cela aboutit à la transformation et à la prolifération cellulaire. Le gène p53, par exemple, est un anti-oncogène qui agit en bloquant le cycle cellulaire. Si l’on induit expérimentalement des lésions de l’ADN, la protéine p53 contribue à arrêter le cycle cellulaire, comme s’il s’agissait d’empêcher la transmission d’altérations génétiques aux cellules descendantes. Certains anti-oncogènes ont un rôle dans la signalisation aboutissant à l’apoptose.

III. L’invasion tumorale

A la différence des tumeurs bénignes, les cellules tumorales peuvent envahir les tissus adjacents puis les organes à distance.

Un des mécanismes impliqués dans l’invasion tumorale est la perte d’adhésion des cellules entre elles. Cette adhésion se fait normalement par l’intermédiaire de molécules situées à la surface de chaque cellules (molécules d’adhésion). Dans le cas de la cellule tumorale, ces molécules d’adhésion peuvent être défectueuses et empêcher la congruence des cellules entre elles.

D’autre part, le potentiel invasif provient de la capacité qu’ont les cellules tumorales de traverser la membrane basale. Les membranes basales sont les structures qui séparent les couches cellulaires de surface et le tissu conjonctif (tissu de soutien). Une fois ces membranes franchies, les cellules cancéreuses ont accès aux vaisseaux du tissu conjonctif (artères, veines, lymphatiques), aux organes adjacents, puis aux autres organes . Ce phénomène invasif résulte de la sécrétion par la tumeur elle-même de protéines détruisant les fibres du tissu conjonctif, permettant ainsi aux cellules de migrer.

1. L’extension tumorale locale

La croissance tumorale est très variable d’une tumeur à l’autre. Elle dépend de plusieurs facteurs, dont les facteurs de prolifération et les facteurs angiogéniques. L’angiogenèse est la capacité d’induire la formation de nouveaux vaisseaux sanguins destinés à irriguer la tumeur. L’angiogenèse se met en place dès que la tumeur mesure quelques millimètres. Les facteurs de l’angiogenèse sont des protéines produites par les cellules tumorales elle-même. La recherche de molécules qui inhiberaient l’angiogenèse est actuellement en cours.

2. L’extension tumorale à distance : les metastases

Seul un petit nombre de cellules de cellules tumorales parviendra à atteindre les vaisseaux sanguins et/ou lymphatique, car là encore, il faudra franchir les parois vasculaires. Une fois dans le flux sanguins, les cellules tumorales s’agrègeront avec les plaquettes et cet amas devra franchir à nouveau la paroi vasculaire pour sortir du flux sanguin. Cette étape implique là encore les molécules d’adhésion.

Pourquoi les cellules cancéreuses migrent dans un organe plutôt que dans un autre ? Les mécanismes ne sont pas complètement élucidés. Il existe par exemple des contraintes physiques : une fois dans la circulation générale, le premier organe filtre est le poumon, ce qui explique probablement la prédominance des métastases pulmonaires dans certains cancers. D’autre part, Il faut non seulement que la tumeur ait le potentiel invasif suffisant mais que l’organe cible offre les conditions favorables au développement d’une métastase. Ceci dépend de facteurs locaux, de l’architecture des tissus, etc. Là encore, l’angiogenèse intervient, car la tumeur va secréter des facteurs angiogéniques qui favoriseront la formation de nouveaux vaisseaux au sein de l’organe concerné.