Prévention de la récidive postopératoire de la maladie de Crohn

Risques de chirurgie et de récidive postopératoire au cours de la maladie de Crohn

  • Deux tiers des malades devront subir une intervention au cours de leur vie
  • Le taux de rechute endoscopique après résection est de 65-90 % à 1 an
  • Le taux moyen de rechute clinique postopératoire est de 1/3 des malades à 3 ans et de 60 % à 10 ans
  • Le risque de réintervention pour chirurgie de résection s’élève à 25-45 % à 10 ans

Facteurs de risque validés de récidive postopératoire précoce (ECCO)

  • Tabac
  • 2e chirurgie (une appendicectomie compte pour une 1ère chirurgie)
  • Phénotype pénétrant (chirurgie de résection pour fistule ou abcès)
  • Lésions anopérinéales associées
  • Résection étendue (colectomie subtotale ou résection de grélique d’un mètre et plus)
  • Absence de traitement préventif postopératoire

Une iléocoloscopie est à réaliser de façon systématique 6-12 mois après chirurgie afin de prédire la récidive clinique (ECCO)

Les études ont montré que la récidive postopératoire endoscopique précède la récidive clinique, que l’endoscopie est le moyen le plus sensible pour détecter la récidive postopératoire de maladie de Crohn et que la sévérité de l’atteinte endoscopique, évaluée par le score de Rutgeerts, est le facteur le mieux corrélé au risque de récidive clinique.

Le score de Rutgeerts

Stade Lésions Risque de récidive à 3 ans
Stade i0 absence de lésion < 10 %
Stade i1 pas plus de 5 ulcérations iléales aphtoïdes en muqueuse saine  < 10 %
Stade i2 > 5 ulcérations aphtoïdes avec muqueuse intercalaire normale ou ulcération plus large ou limitée à l’anastomose (sur moins d’1 cm de long) < 15 %
Stade i3 iléite diffuse avec muqueuse intercalaire inflammatoire > 40 %
Stade i4 iléite diffuse avec ulcérations creusantes et /ou sténose > 90 %

 

Alternatives au score de Rutgeerts endoscopique ?

  • CDAI et CRP ont des sensibilités très mauvaises
  • Vidéocapsule du grêle, échographie, entéro-IRM, calprotectine et lactoferrine fécales semblent des méthodes intéressantes, mais ne sont pas encore validées (petites séries) : l’iléocoloscopie reste le gold standard en 2014. La coloscopie systématique à 6 mois qui conduit à une optimisation du traitement en fonction du score de Rutgeerts, permet d’obtenir de meilleurs taux de rémission endoscopique (i2-4) à 18 mois qu’une prise en charge purement clinique (étude POCER, UEGW Berlin 2013).

Traitement préventif de la récidive postopératoire

  • Arrêt du tabac  
    • Le risque de récidive est divisé par 2 après arrêt du tabac
       
  • Mésalazine  
    • Les méta-analyses sont positives : la Mésalazine est d’efficacité réelle mais légère : baisse de 15 % du taux de récidive clinique (12 malades à traiter pour éviter 1 récidive clinique)
    • Nécessité de fortes doses (au moins 3 g/j)
    • Tolérance excellente (surveillance : créatinémie, protéinurie / 6 mois)
       
  • Antibiotiques : imidazolés  
    • 2 études contrôlées positives : diminution du risque de récidive clinique à 1 an de 20 à 30 %(4 malades à traiter pour éviter 1 récidive clinique)
    • Cependant, un taux de récidive endoscopique identique à 3 ans et des problèmes de tolérance au long cours (dysgueusie…) en diminuent l’intérêt
    • Métronidazole (Flagyl®), 20 mg/kg/j, débuté dès S1 et poursuivi 12 semaines ou, un peu mieux toléré, Ornidazole (Tibéral®), 500 mg x 2/j, débuté dès S1 et poursuivi 1 an
       
  • Thiopurines  
    • Méta-analyse positive, mais effet modéré : baisse de 24 % du taux de récidive clinique (7 malades à traiter pour éviter 1 récidive clinique)
    • Azathioprine, 2-2,5 mg/kg/j ou 6-Mercaptopurine, 1,5 mg/kg/j
    • En cas de récidive endoscopique sévère (Rutgeerts i3-i4) à l’iléocoloscopie pratiquée à 6-12 mois de la chirurgie, les thiopurines ne diminuent pas le risque de récidive clinique : il faut donc dans ce cas changer de traitement
    • Effets secondaires fréquents, bien connus, parfois sévères (interruption du traitement chez 20 % des malades pour intolérance aux thiopurines)
       
  • Anti-TNF alpha  
    • Plusieurs études contrôlées randomisées ont montré l’efficacité remarquable des anti-TNFalpha (infliximab et adalumumab) et leur supériorité nette sur les thiopurines, dans la prévention de la rechute postopératoire de maladie de Crohn. Les premiers résultats à moyen terme suggèrent également un effet soutenu en cas de poursuite de l’anti-TNFalpha au-delà de 1 an de traitement
       
  • Probiotiques ?  
    • Les rares études contrôlées disponibles sont toutes négatives
       

Traitement préventif de la récidive postopératoire de maladie de Crohn : conclusions

  • Après résection, recommander dans tous les cas l’arrêt du tabac (ECCO)
  • Débuter le traitement préventif au plus tard 2 semaines après la chirurgie et le poursuivre au moins 2 ans (ECCO)  
    1. Chez les malades à faible risque, proposer la Mésalazine ou l’absence de traitement (ECCO)
    2. Chez les malades à haut risque (un facteur de risque validé de récidive postopératoire précoce), traiter par thiopurines en postopératoire immédiat (ECCO)
    3. Chez les malades à très haut risque (au moins 2 facteurs de risque de récidive postopératoire, et tout particulièrement en cas de maladie de Crohn de phénotype pénétrant), chez les intolérants aux thiopurines et les malades déjà sous anti-TNF alpha avant résection intestinale, traiter par anti-TNF alpha
     
  • La place des Imidazolés, du fait de leur tolérance médiocre et en dépit de leur efficacité réelle, n’est pas définie par ECCO. Ils pourraient cependant être utiles :  
    1. chez les malades sans autre facteur de risque de récidive que le tabac et qui souhaitent arrêter de fumer, le temps de s’assurer du succès du sevrage
    2. chez les malades avec des suites postopératoires difficiles (infection ou autre), chez qui l’immunosuppresseur ou l’anti-TNF alpha choisi en prévention du risque de récidive ne peut être introduit précocement, en attendant de pouvoir débuter celui-ci
    3. enfin, l’école belge suggère d’associer à l’azathioprine, un imidazolé en début de traitement postopératoire afin de donner à l’immunosuppresseur le temps de faire son effet. L’intérêt de cette association n’a pas été confirmé dans une étude contrôlée récente (Manosa M, ECCO 2012)
     
  • À 6-12 mois de la chirurgie, pratiquer une iléocoloscopie systématique (ECCO) :  
    • Rutgeerts i0-i1 : poursuivre le même traitement
    • Rutgeerts i2 : thiopurine si le malade était traité par Mésalazine ou n’avait pas de traitement, anti-TNF alpha si la malade était déjà sous thiopurines ; optimisation du traitement par anti-TNF alpha si le malade était déjà sous anti-TNF alpha
    • Rutgeerts i3-i4 : anti-TNF alpha si le malade était sous mésalasine ou thiopurines ; si le malade était déjà sous anti-TNF alpha, optimiser l’anti-TNF alpha et y associer une thiopurine, ou « switcher » avec un autre anti-TNF alpha, voire proposer une combothérapie associant un nouvel anti-TNF alpha plus une thiopurine. L’étude POCER a en effet suggéré qu’une simple optimisation de l’anti-TNF alpha (doublement de posologie de l’adalimumab) semblait insuffisante pour éviter la rechute clinique en cas de rechute endoscopique sévère i3-4 sous anti-TNF alpha (UEGW Berlin 2013). Aucune étude n’a étudié l’intérêt du védolizumab dans cette situation, que ce soit en prévention du risque de rechute postopératoire de maladie de Crohn ou en cas de rechute endoscopique infraclinique de maladie de Crohn, en 2e ligne des anti-TNF alpha
       

D’après Buisson A et al. Dig Liv Dis 2012;44:453-60

Schéma : prévention postopératoire