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Véronique Vitton (Marseille)
Bureau du CREGG : Guillaume Bonnaud, Thierry Higuero et Pierre Adrien Dalbiès.
Le syndrome de l’intestin irritable (SII) est une maladie se manifestant par des douleurs abdominales, ballonnements, alternance diarrhée / constipation. Cette maladie multifactorielle inclut notamment l’implication d’une dysbiose chez 2 patients sur 3.
Actuellement défini par les critères de Rome IV(2), le SII est un des motifs les plus fréquents de consultation en gastro-entérologie.
Sa prévalence dans la population générale est de 10 à 15 %, avec le plus souvent une atteinte significative de la qualité de vie personnelle et sociale(3).
Sa prise en charge thérapeutique est difficile, notamment en raison d’une physiopathologie complexe : en effet, le SII peut être lié à des facteurs psychologiques, environnementaux, des troubles moteurs, une hypersensibilité viscérale, une inflammation intestinale de bas grade, des facteurs nutritionnels et une dysbiose(6,7).
SII : Mécanismes physiopathologiques multiples
Figure 1 : Origine et association plurifactorielles
(d’après une présentation de V. Vitton)
Rôle de la dysbiose dans le SII
- De nombreuses études ont montré l’existence d’une dysbiose dans le SII avec une baisse de la diversité des populations microbiennes (réduction des bifidobactéries et des lactobacilles, excès de clostridies et de firmicutes).
- On estime que cela concernerait deux tiers des patients(1).
Place des probiotiques dans le SII
- Les probiotiques ont été définis en 2002 par la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations)/WHO (World Health Organization) comme « des micro-organismes vivants qui, administrés en quantité adéquate, produisent un bénéfice pour la santé de l’hôte ».
- Selon la littérature, ils présentent un intérêt dans le SII pour restaurer le microbiote intestinal, soulager les symptômes (douleurs abdominales, flatulences, etc.) et améliorer la qualité de vie des patients.
- Ils sont recommandés dans le traitement du SII par différentes sociétés savantes(4).
Critères de choix d’un probiotique
Les autorités de santé françaises et européennes (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments : AFSSA, European Food Safety Authority : EFSA), ainsi que la World Gastroenterology Organisation ont édicté des critères d’éligibilité au statut de probiotique (2017).
1. Identification de la souche et de ses caractéristiques.
2. Présomption d’innocuité reconnue et absence de transmission de résistance aux antibiotiques.
3. Survie dans le tube digestif.
4. Effet préventif ou thérapeutique prouvé à la dose préconisée.
5. Garantie d’une dose effective à la date limite d’utilisation optimale (DLUO).
6. Capacité d’adhésion à l’épithélium intestinal.
Critères d’éligibilité d’un probiotique dans le traitement du SII
1. Étude(s) portant sur le produit commercialisé : même souche ou association de souches, même dosage, galénique similaire.
2. Efficacité de la souche et de l’association de souches évaluée par des essais contrôlés randomisés.
3. Prise en considération de la méthodologie des essais (nombre de patients, durée du traitement minimale de 7 jours, identification et dosage des souches).
4. Évaluation de la réponse au traitement évaluée de façon dichotomique à un temps donné ou sous la forme de données continues sur la durée.
Souches disponibles en France et ayant fait preuve de leur efficacité
Il existe un grand nombre de probiotiques commercialisés en France, majoritairement en officines. La majorité le sont sous la forme de compléments alimentaires, mais certains existent sous le statut de dispositif médical ou de médicaments.
Certains probiotiques ont fait l’objet d’études randomisées et sont commercialisés aux posologies et galéniques publiées (Lactobacillus Plantarum 299v – complément alimentaire, Bifidobacterium Bifidum MIMBb75 – dispositif médical)(5).
D’autres font bien l’objet d’études randomisées mais sont commercialisés à des posologies différentes(8,9).
Il n’est pas possible d’identifier un probiotique plus efficace qu’un autre dans le traitement du SII.
Il semble raisonnable, lorsqu’un praticien décide de prescrire un probiotique, d’en choisir un en toute connaissance de cause et de débuter par un de ceux pour lesquels on dispose d’une étude clinique avec une efficacité démontrée.
Plusieurs probiotiques pourront être successivement testés.
Il est possible, si un patient est amélioré par un probiotique sans étude clinique, de ne pas le modifier et de l’encourager à le poursuivre.
La réponse aux questions clé
Les associations de probiotiques présentent-elles davantage d’intérêt que les souches isolées ?
Il n’y a pas d’arguments scientifiques de la supériorité d’un probiotique multi-souches par rapport à un mono-souche dans le traitement du SII.
Les probiotiques les plus dosés sont-ils les plus efficaces ?
Il n’y a pas d’arguments scientifiques de l’intérêt d’un dosage supérieur des souches de probiotiques dans le traitement du SII.
Quelle est la durée optimale de traitement ?
Un probiotique doit être prescrit au moins 4 semaines dans le traitement du SII. Il n’y a actuellement pas d’arguments scientifiques concernant la durée maximale de traitement ou le rythme d’administration (par cure par exemple).
Quelles sont les modalités de prise ?
Même si l’on dispose de peu d’arguments dans la littérature, il apparaît préférable que les probiotiques soient administrés juste avant ou pendant le repas.
Existe-t-il des contre-indications et des précautions d’emploi ?
Même si les probiotiques sont considérés comme sûrs, ils doivent être évités chez les patients immunodéprimés.
Existe-t-il des risques d’interactions médicamenteuses ?
Il n’existe pas de preuves dans la littérature mettant en avant des interactions médicamenteuses.
Faut-il associer les probiotiques à un régime alimentaire particulier ?
Il n’y a pas de données suffisantes pour recommander d’associer un régime alimentaire spécifique lors de la prise de probiotiques. En revanche, un régime pauvre en FODMAP peut être recommandé dans le cadre de la prise en charge du SII.
Glossaire
Dysbiose : déséquilibre du microbiote associé à des conséquences néfastes pour l’hôte. Une dysbiose peut résulter de l’excès de micro-organismes délétères et/ou de l’insuffisance relative de micro-organismes bénéfiques à l’hôte.
Bifidobactéries : bactérie du genre Bifidobacterium à Gram positif, non mobile présente dans la flore intestinale.
Lactobacilles : genre bactérien regroupant les bactéries à Gram positif, intervenant dans la fermentation des glucides et leur transformation en acide lactique. Les lactobacilles sont des organismes importants de la flore intestinale.
Firmicutes : Phylum constitué de bactéries à Gram positif incluant les Clostridies et lactobacilles, dominant dans le côlon de l’homme.
Références
- Véronique Vitton, Henri Damon. Probiotiques en pratique dans le syndrome de l’intestin irritable : des réponses scientifiques à des questions pratiques. Hépato-Gastro & Oncologie Digestive. 2020;27(6):605-612. doi:10.1684/hpg.2020.1990
- Lacy B. Bowel disorders. Gastroenterology 2016 ; 150 : 1393-407.
- Longstreth GF, Bolus R, Naliboff B, et al. Impact of irritable bowel syndrome on patients’ lives : development and psychometric documentation of a diseasespecific measure for use in clinical trials. Eur J Gastroenterol Hepatol 2005 ; 17(4) : 411-20
- Sinagra E, Pompei G, Tomasello G, et al. Inflammation in irritable bowel syndrome : Myth or new treatment target? World J Gastroenterol 2016 ; 22(7) : 2242-55.
- Barbara G, Cremon C, Azpiroz F. Probiotics in irritable bowel syndrome : Where are we? Neurogastroenterol Motil 2018 ; 30(12) : e13513.
- Ford AC, Harris LA, Lacy BE, Quigley EMM, Moayyedi P. Systematic review with meta-analysis : the efficacy of prebiotics, probiotics, synbiotics and antibiotics in irritable bowel syndrome. Aliment Pharmacol Ther 2018 ; 48(10) : 1044-60
- McKenzie YA, Thompson J, Gulia P, Lomer MC. British Dietetic Association systematic review of systematic reviews and evidence-based practice guidelines for the use of probiotics in the management of irritable bowel syndrome in adults (2016 update). J Hum Nutr Diet 2016 ; 29(5) : 576-92.
- Guglielmetti S, Mora D, Gschwender M, Popp K. Randomised clinical trial : Bifidobacterium bifidum MIMBb75 significantly alleviates irritable bowel syndrome and improves quality of life–a double-blind, placebocontrolled study. Aliment Pharmacol Ther 2011 ; 33 (10) : 1123-32.
- Ducrotte P, Sawant P, Jayanthi V. Clinical trial: Lactobacillus plantarum 299v (DSM 9843) improves symptoms of irritable bowel syndrome. World J Gastroenterol 2012 ; 18 (30) : 4012-8.
- Whorwell PJ, Altringer L, Morel J, et al. Efficacy of an encapsulated probiotic Bifidobacterium infantis 35624 in women with irritable bowel syndrome. Am J Gastroenterol 2006 ; 101(7) : 1581-90.
- Lorenzo-Zuniga V, Llop E, Suarez C, et al. I.31, a new combination of probiotics, improves irritable bowel syndrome-related quality of life. World J Gastroenterol 2014 ; 20(26) : 8709-16.
Liens d’intérêts
Les auteurs déclarent les liens d’intérêts suivants en rapport avec l’article : VV : interventions ponctuelles pour les laboratoires Ipsen, Biocodex, Arkopharma, Norgine.
Fiche réalisée avec le soutien institutionnel de