Comment et quand prescrire des thiopurines en 2013 ?

Les thiopurines sont prescrites dans plus de 40 % des cas de patients MICI dans l’étude CESAME. Elles sont représentées par l’azathioprine (Imurel®) et la 6-mercaptopurine (Purinethol®). L’azathioprine est en fait une prodrogue du Purinethol® en se transformant par une glutathion S transférase en 6-mercaptopurine dans son métabolisme.

Comment prescrire une thiopurine ?

Analyser si possible le génotypage de la TPMT avant la prescription de thiopurines

  • Ce dosage pourrait faire partie de la carte d’identité de notre patient dès la découverte de la maladie
  • Ce dosage diminue le risque de complications hématologiques sous thiopurines d’environ 50 % mais ne les annule pas en dépistant les mutations homozygotes (0,3 %) ou hétérozygotes (11 %)
  • Il n’empêche pas l’obligation de faire un bilan biologique hebdomadaire le premier mois puis mensuel une fois par mois pendant 2 mois puis tous les trois mois
  • En pratique clinique : ce résultat fiable n’est pas remboursé et reste à la charge du patient
  • Son niveau de recommandation est de grade C aux USA et sans recommandation pour ECCO
  • Doser l’activité TPMT pourrait théoriquement être plus intéressante en isolant les patients mutés (activité basse ou nulle) et en recherchant les patients à fort risque de résistance thérapeutique (activité très élevée). Ce dosage est actuellement trop hétérogène pour le proposer hors études cliniques

A quelle dose prescrire d’emblée les thiopurines ?

  • Pour l’azathioprine à la dose de 2,5 mg/kg (hors mutation) et pour le purinethol® à la dose de 1,5 mg/kg
  • Ces données nous viennent des résultats de la Cochrane data base
  • Une augmentation progressive des doses est inutile et n’a pas montré son intérêt 
  • Ces doses sont les doses recommandées par ECCO

Comment prendre son traitement journalier par azathioprine ?

  • Une prise unique est la plus simple
  • En fait, une grande souplesse dans le choix de prise du traitement journalier afin d’améliorer l’observance mais si possible, éviter de couper un comprimé dit sécable

Quelle surveillance biologique proposer sous thiopurines ?

  • Les risques sont dominés par des complications hématologiques (leucopénie, lymphopénie, anémie et plus rarement thrombopénie) et par des complications hépatotoxiques (cytolyse soit immuno-allergiques, soit liés aux dérivés méthyles)
  • Ces complications peuvent apparaître très tôt sous thiopurines dès la seconde semaine et diminuent dans le temps sans disparaître
  • En cas de cytolyse sous thiopurines : comprendre le mécanisme (recherche infectieuse, dosage des métabolites des thiopurines), arrêter le traitement si cytolyse à plus de 5N. En cas de cytolyse sous azathioprine, il est possible de passer au purinethol®
  • À moyen terme, de rares cas d’hyperplasie nodulaire régénérative ont été rapportés
  • En cas de complications hématologiques, arrêter ou diminuer la dose
  • Surveillance : NFS et Bilan Hépatique toutes les semaines le premier mois puis tous les mois pendant deux mois puis tous les trois mois pendant la durée de la prescription

Quel traitement doit-on contre-indiquer sous thiopurines ?

  • Les traitements interagissant avec le métabolisme de l’azathioprine doivent être maniés avec précaution (en général par blocage de la TPMT). Ils augmentent la toxicité hématologique des thiopurines
  • Ne pas coprescrire azathioprine et allopurinol
  • En cas de coprescription 5 ASA-azathioprine, surveillance rapprochée des hémogrammes
  • Si utilisation de ribavirine, déconseiller les thiopurines

Doit-on doser les 6-TGN sous thiopurines ?

  • Les 6-TGN sont les métabolites dits actifs des thiopurines. Un taux de 6-TGN au-delà d’un seuil de 230 à 260 pmoles est associé à un taux de rémission clinique deux fois plus élevé
  • Le dosage des 6-TGN est intéressant en cas d’échec sous thiopurines pour discuter une escalade de doses
  • De plus, ce dosage permet de dépister les patients non observants sous traitements (jusqu’à 20 %) 
  • Enfin, en cas de complications, ce taux peut expliquer le mécanisme et éviter une contre-indication définitive d’un produit erroné
  • Ce dosage est théoriquement remboursé car l’azathioprine est une molécule anti-oncogène et que tout dosage lié à cette thérapeutique doit être pris en charge. Le remboursement est accepté par certaines régions et non par d’autres
  • Les sociétés savantes ne prennent pas position sur ce dosage

Autres surveillances

  • Vacciner les patients qui le doivent par vaccins inactivés
  • Surveillance dermatologique annuelle du fait d’une augmentation de risque de cancer cutané non mélanique
  • Surveillance gynécologique annuelle du fait d’une augmentation du risque de dysplasie du col 

Quand prescrire une thiopurine ?

La principale utilisation des thiopurines dans les MICI est celle de la corticodépendance. Dans une méta-analyse, il est prouvé que l’utilisation des thiopurines est favorable dans le maintien de la rémission clinique tant dans la MC que la RCH.

Quelle durée optimale de prescription en cas de monothérapie ?

  • Dans la MC, après une durée moyenne d’utilisation de 68 mois, les taux de récidive de MC étaient à 1, 3 et 5 ans respectivement de 14, 54, et 64 % après arrêt de l’azathioprine 
  • Ainsi, la durée d’utilisation d’aza doit être longue mais un arrêt au cas par cas peut être discuté (grossesse par ex.) avec une efficacité de la molécule dans plus de 80 % des cas à sa reprise 
  • L’obtention d’une cicatrisation muqueuse est un point sans doute important à obtenir avant arrêt thérapeutique mais ce point nécessite d’être validé

Doit-on continuer à prescrire un immunosuppresseur lors de l’introduction d’un anti-TNF ?

  • Aucune étude pivot étudiant l’intérêt des anti-TNF n’a montré une supériorité du bras sous IS associé versus sans IS mais dans tous les cas, il s’agissait de patients en échec de thiopurines (hors étude SONIC) et avec un suivi de 54 semaines seulement
  • Une métaanalyse récente a montré l’intérêt de continuer un IS sous IFX. A l’inverse, ce travail ne montre aucun impact à continuer un IS sous ADA ou certolizumab
  • Pour l’IFX au moins, l’utilisation d’un IS diminuerait l’apparition d’anticorps qui diminuent l’efficacité de la molécule et augmentent les risques immuno-allergiques aux perfusions 
  • En pratique, l’utilisation combinée d’IS chez des patients sous IFX et en échec préalable d’IS paraît logique pharmacologiquement. Sur le plan clinique, les données de la métaanalyse confirment cette hypothèse. Cette coprescription doit être discutée en fonction de certains facteurs de risque (âge jeune, sexe masculin, statut EBV)

 Quand arrêter l’azathioprine chez les patients en traitement combiné (AZA- anti-TNF) ?

  • Le risque de complications iatrogènes, et notamment d’infections opportunistes, est augmenté en cas de combothérapie
  • Une étude belge a comparé un bras ayant arrêté l’azathioprine avec traitement par IFX seul à un bras ayant continué la bithérapie chez des patients ayant tous eu une bithérapie pendant au moins 6 mois. Si à deux ans, les taux de rémission clinique étaient comparables, la CRP et la pharmacologie de l’IFX étaient plus favorables dans le bras bithérapie. Les auteurs concluaient malgré tout à l’intérêt de l’arrêt de l’azathioprine à 6 mois. Un suivi plus long aurait peut-être changé les conclusions 
  • Il semblerait plus réaliste de discuter le passage à une monothérapie à un an. Si les taux résiduels d’IFX (TRI) sont bas, l’arrêt de l’IFX peut se discuter. Si les TRI sont élevés, l’arrêt des IS doit se discuter.
  • La recherche d’une cicatrisation muqueuse et certains marqueurs biologiques et pharmacologiques (CRP, calprotectine, IFX) devraient nous permettre de mieux cerner quelle molécule arrêter 

Impact de l’association IFX – azathioprine dans les formes plus précoces et naïves d’immunosuppresseurs

  • La combothérapie est clairement plus efficace qu’une monothérapie chez des patients naïfs d’IS tant dans la MC que dans la RCH et en échec d’un traitement par stéroïdes (corticodépendance entre autres). Ces résultats ne sont validés actuellement que pour l’IFX 
  • Avant cette prescription, le contrôle d’une activité de la maladie s’impose par un bilan endoscopique
  • L’avenir permettra d’isoler plus clairement des sous-groupes de patients pour lesquels une monothérapie par azathioprine pourrait suffire (étendue courte, activité minime à modérée, pas de signes de gravité endoscopique) afin de ne pas surtraiter certains patients
  • Dans la RCH par exemple, il paraît licite de proposer une combothérapie à un patient porteur d’une forme étendue avec un seuil de corticodépendance élevé
  • Les données sur l’intérêt, dans ces cas précoces, d’azathioprine avec l’ADA sont en cours d’étude

Utilisation précoce de l’azathioprine dans les MICI ? Y a-t-il un intérêt à un step up accéléré ?

  • Chez l’enfant, il a été clairement établi que l’utilisation dès la première poussée de thiopurines est intéressante en augmentant de manière très significative les taux de rémission clinique durable
  • Chez l’adulte, deux études ont étudié l’impact des IS prescrits très tôt dans l’histoire naturelle de la maladie. Ces résultats chez l’adulte sont ainsi négatifs pour un step up accéléré 
  • En pratique : l’attitude step up accéléré est un concept qui n’a pas montré clairement sa place dans notre stratégie thérapeutique de la MC de l’adulte
  • Il est sûr qu’un certain nombre de patients le justifient mais nous cherchons encore les données prédictives pour isoler ces patients. Nous sommes toujours en quête de la « boule de cristal ».