L’alimentation : des conseils diététiques au traitement nutritionnel

Il est à priori logique de penser qu’une maladie inflammatoire qui atteint le tube digestif pourrait avoir une cause alimentaire et en tous les cas pourrait s’améliorer grâce à un régime.

En pratique, la question est de savoir ce qu’il faut manger lorsque l’on est porteur d’une maladie de Crohn ou d’une recto-colite hémorragique.

La réponse pourrait être : mangez ce que vous supportez. Cette réponse est certainement le plus souvent juste.

Néanmoins, la formulation est un peu réductrice, il faut la nuancer en fonction de l’évolution de la maladie.

COMBATTRE LES IDÉES REÇUES

Le malade porteur d’une MICI est bien sûr tenté de rechercher sur Internet les réponses aux questions qu’il se pose concernant son régime. Tout et n’importe quoi circule dans ces informations. Le plus souvent, les conseils diététiques ne sont pas validés sur le plan scientifique où les expériences de chacun sont des cas particuliers et les opinions exprimées par les patients très subjectives.

Il n’y a aucune preuve scientifique indiquant qu’un type d’aliment puisse provoquer ou aggraver une maladie inflammatoire de l’intestin. De multiples régimes ont été proposés aux patients, ils sont inutiles. Le plus souvent, il est injustifié de s’imposer des restrictions alimentaires qui peuvent conduire à un déséquilibre nutritionnel et une perte « de la joie de vivre ».

Il n’existe pas de « régime anti-inflammatoire » précis dont l’efficacité soit démontrée. Plusieurs études récentes argumentent cependant les effets bénéfiques en prévention de la maladie et de la sévérité de l’activité, d’une alimentation principalement végétale « méditerranéenne » pauvre en graisses animales, sucres raffinés et surtout en évitant la nourriture industrielle à base d’additifs types émulsifiants et fluidifiants. Mais attention à éviter les régimes pouvant entraîner des carences, être coûteux et réduire le plaisir de manger.

En pratique, deux choses sont utiles, d’abord d’arrêter de fumer et ensuite avant de vous lancer dans un régime demander l’avis de votre médecin qui est le seul habilité à vous conseiller en fonction de l’état de votre maladie.

Adapter sa nutrition en fonction de l’état de sa maladie

Lorsque tout va mal : poussée sévère et complications

Cette situation particulière est la seule au cours de laquelle il est nécessaire d’envisager une prise en charge nutritionnelle avec le concours de votre médecin et des nutritionnistes. L’alimentation a en fait trois buts essentiels :

  1. maintenir ou restaurer un bon état nutritionnel grâce à des apports caloriques suffisants, éventuellement compléter par des vitamines, des sels minéraux ou des oligo-éléments,
  2. combattre l’inconfort digestif et surtout la diarrhée, qui est la seule indication d’un régime pauvre ou sans résidus (diminuer la consommation de légumes à fibres dures, salades, crudités, légumes verts, céréales…). Cette restriction ne modifie pas le cours évolutif de la maladie qui ne peut être améliorée que par les traitements médicaux ; le régime sans résidus améliore en revanche les douleurs abdominales et la diarrhée. Il est également déconseillé en phase évolutive de la maladie de consommer du lait, seuls les yaourts peuvent être autorisés,
  3. combattre la dénutrition. La première étape est de mettre en place des compléments nutritionnels hyperprotéinés et hypercaloriques. On peut parfois utiliser une alimentation orale spécifique exclusive dans la maladie de Crohn comme le Modulen® qui aura presque le même effet qu’une nutrition artificielle parentérale (elle est souvent utilisée et mieux tolérée en pédiatrie que chez l’adulte),
  4. Dans les formes sévères principalement des maladies de Crohn, il est parfois nécessaire, mais ceci est rare chez l’adulte, d’interrompre toute alimentation par voie orale pour nourrir les patients de façon artificielle soit par voie veineuse (nutrition parentérale totale) soit par une sonde gastrique (nutrition entérale à débit constant). Ces techniques d’alimentation relèvent de centres spécialisés qui concernent en fait très peu de patients ; le bénéfice d’une alimentation artificielle dans les MICI a été surtout démontré chez les enfants.

Conseils diététiques en cas de poussée :

En cas de diarrhée abondante, il faudra privilégier une hydratation per os et éviter les fruits et légumes et les aliments avec résidus ainsi que les aliments gras et les repas trop copieux, car cela peut entraîner une augmentation des symptômes.

En cas de forme très étendue ou de fistule entéro-cutanée ou interne de faible débit : un support nutritionnel parentéral peut parfois se discuter avec mise au repos du tube digestif (effet suspensif sur les fistules).

En cas de sténose non occlusive, il est conseillé d’éviter les fibres (fruits, légumes, céréales), peaux, noix, graines afin de prévenir une obstruction intestinale appelée occlusion.

Conseils diététiques sous corticothérapie : pas de régime strict !

Mais il faudra essayer de tenir certaines règles pour limiter les effets secondaires de la corticothérapie : limiter les repas trop copieux, éviter les sucreries et limiter les graisses, ne pas ajouter de sel à table, favoriser et augmenter les apports en protéines et en cas de traitement prolonger prévoir un apport supplémentaire en calcium (1 g/j) et en vitamine D (800 UI/j).

L’intolérance au lactose ?

Dans certaines formes inflammatoires de l’intestin, on peut observer une diminution voire une perte de l’activité de la lactase qui dégrade le lactose en sucre plus simple.

Cet excès de lactose entraîne souvent un inconfort digestif avec ballonnement et accélération du transit. Pour ces patients il faudra limiter voire éviter les produits laitiers frais sauf les fromages.

Lorsque tout va bien : maladie non évolutive

Dans cette situation heureusement fréquente, puisque tout va bien rien ne vous est interdit. Il est simplement nécessaire d’avoir un apport diététique bien équilibré « méditerranéen » à base de produits frais, de manger calmement en évitant les repas trop copieux au profit de petites collations dans la journée.

En pratique : simplifiez-vous la vie

La plupart du temps, mangez normalement, ne pensez pas à ce que vous mangez et ne pensez pas que ce que vous mangez est responsable des inconforts que vous pouvez ressentir. Reprenez le pouvoir sur une alimentation plaisir que vous aimez, bien équilibrée, « méditerranéenne » à base de produits frais. Il est important d’avoir une alimentation équilibrée pour ne pas avoir de carence. Dans certaines circonstances, on pourra apporter une supplémentation vitaminique ou en fer après dosage sanguin.

Au moindre symptôme, il est préférable de demander l’avis à votre médecin. Si des douleurs abdominales ou de la diarrhée apparaissent, vous pouvez de vous-même débuter un régime sans résidus.

Ne vous imposez pas de restrictions inutiles, mais suivez scrupuleusement les traitements médicamenteux qui vous sont proposés, eux seuls agissent efficacement. L’accompagnement par une diététicienne peut être recommandé.

En pratique, faut-il changer de mode d’alimentation lorsqu’une MICI est diagnostiquée ?

La réponse est difficile, car sur le plan scientifique, il n’y a pas de preuves établies, mais le témoignage de patients sur l’amélioration de leur qualité de vie pourrait inciter à modifier son mode d’alimentation et surtout son mode de vie accompagné de modifications environnementales plus larges, d’une reprise d’activité physique et d’une meilleure gestion du stress au quotidien.

Une modification du mode de vie selon le concept de « healthy diet » peut s’appliquer au MICI. En voici les grands principes :

  • Il faut privilégier les produits frais de saison en évitant les produits industrialisés et les plats préparés trop salés et sucrés comprenant souvent des additifs alimentaires et des conservateurs.
  • Il faut préférer la consommation de poissons, de fruits de mer plus riche en oméga 3, de viande blanche et plutôt limiter la consommation de viande rouge (une à deux fois par semaine).
  • Il faut cuisiner « maison » en privilégiant les cuissons vapeur, four ou plancha à l’huile d’olive.
  • Adopter la consommation de protéines végétales.
  • Pratiquer une activité physique régulière.
  • Ne pas fumer et ne boire de l’alcool que très modérément voire pas du tout.

Des traitements qui relèvent de centres spécialisés

La nutrition entérale et parentérale relèvent de centres spécialisés, car elles nécessitent une parfaite maîtrise de ces techniques. Une bonne information des patients et de leur entourage permet cependant de rendre ces traitements compatibles avec une vie presque normale. L’administration peut se faire de manière continue (24 heures sur 24) ou discontinue (essentiellement nocturne). Habituellement, leur durée d’utilisation ne dépasse pas 4 à 6 semaines.

Lorsque l’administration doit être prolongée, elle est effectuée à domicile et l’on parle de nutrition artificielle à domicile.

TROIS TECHNIQUES

Le traitement nutritionnel peut être mis en place selon trois techniques basées sur des modes d’administration différents : oral, entéral et parentéral.

Le traitement nutritionnel oral : le mélange nutritif est alors absorbé par la bouche. Il est donné seul ou en complément d’une alimentation normale.

La nutrition entérale : L’alimentation est apportée directement dans l’intestin grêle* proximal ou dans l’estomac par l’intermédiaire d’une sonde passant par le nez ou une gastrostomie.

La nutrition parentérale : Elle consiste à supprimer toute alimentation par le tube digestif et à utiliser la voie veineuse en plaçant dans la veine du patient un cathéter dit central.

MICI ET MICROBIOTES

Le microbiote intestinal représente l’ensemble des micro-organismes présent au sein du tube digestif. II est impliqué de façon bénéfique dans plusieurs fonctions physiologiques : rôle de barrière intestinale, de modulation du système immunitaire ou encore dans la dégradation des fibres et la fermentation des acides gras.

Au cours des maladies inflammatoires chroniques intestinales, il existe un déséquilibre de la composition du microbiote intestinal (dysbiose) qui conduit globalement à une perte des bactéries anti-inflammatoires. Le microbiote intestinal constitue donc une cible thérapeutique intéressante dans les MICI. Il existe plusieurs moyens de manipuler le microbiote intestinal comme les antibiotiques, les prébiotiques ou les probiotiques.

Les probiotiques sont des micro-organismes (bactéries ou levures) ingérés vivants ayant une capacité démontrée scientifiquement à exercer des effets bénéfiques pour la santé de l’hôte.

Les probiotiques peuvent agir directement sur la flore intestinale ou sur la muqueuse intestinale ou indirectement en modifiant l’écosystème intestinal ou le système immunitaire local. Mais leurs actions diffèrent selon les souches.

La survie des probiotiques ingérés varie selon les souches. Certains sont détruits dès leur passage dans l’estomac, car sensibles à l’acidité gastrique et/ou à la bile, tandis que d’autres ont une haute capacité de survie jusque dans les selles. Ils ne colonisent durablement la flore intestinale de l’hôte qu’exceptionnellement.

Leur tolérance est excellente et les effets indésirables comme les infections sont rarissimes.

Les probiotiques peuvent être introduits dans un médicament, un complément alimentaire ou un aliment. Les probiotiques médicamenteux sont étudiés avec la même rigueur scientifique que tout médicament.

Il existe toute une gamme de produits vendus sans ordonnance vantant des effets probiotiques.

Le qualificatif de probiotique est souvent abusivement attribué à certains produits dans la communication au grand public sur des aliments ou compléments alimentaires, ceux-ci pouvant être parfois perçus comme de véritables médicaments. Beaucoup de communications non scientifiques véhiculent des idées non prouvées ou généralisent de façon abusive des résultats d’études scientifiques.

Dans la maladie de Crohn, six études cliniques ont évalué l’effet d’un traitement probiotique ou d’un traitement combiné (médicament plus probiotique) sur la rémission prolongée. Ces études ont été effectuées sur différentes souches : Escherichia coli (une étude), Saccharomyces boulardii (une étude) et Lactobacillus (quatre études). Aucun de ces traitements n’a montré d’effet statistiquement significatif.

Dans la RCH, E. Coli Nissle 1917, probiotique commercialisé en Allemagne sous le nom de Mutaflor, a été comparé au traitement de référence ( 5-ASA) dans 3 études. Son efficacité est considérée comme équivalente au traitement de référence dans la prévention de la rechute de la maladie.

Le VSL#3 (commercialisé sous le nom également de Vivomixx®) est un mélange de 4 souches de lactobacilles (L. casei, L. plantarum, L. acidophilus et L. bulgaricus), 3 souches de bifidobactéries (B. longum, B. breve, et B. infantis) et d’un Streptococcus salivarius thermophilus. Il a prouvé son efficacité dans le traitement et la prévention de la pochite.

Les applications thérapeutiques de l’étude du microbiote intestinal des patients atteints de MICI restent encore limitées à ce jour (aucun véritable probiotique spécifique n’est disponible). À mesure que la compréhension de la relation entre l’hôte et sa flore intestinale s’approfondira, la mise au point de nouveaux probiotiques dans le traitement et la prévention des MICI sera possible.