Incontinence anale

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incontinence aux selles

Mots clés : incontinence anale – incontinence aux selles – incontinence fécale

Définition et prévalence

L’incontinence anale se définit comme l’émission involontaire par l’anus de gaz et/ou de selles liquides et/ou solides. La prévalence de l’incontinence anale est estimée en France à 11 % dans une population de personnes de 45 ans et plus, vivant à domicile (soit deux millions de personnes) ; l’incontinence fécale (émission involontaire de selles liquides et/ou solides) est estimée à 6 % [1]. L’incontinence anale est sous diagnostiquée. Une enquête menée en Rhône-Alpes rapporte que 13,1 % des patients consultant un gastroentérologue présentaient une incontinence anale et que le gastroentérologue l’ignorait dans 85 % des cas [2].

Sémiologie

L’incontinence anale passive se manifeste en dehors de la volonté du patient. Elle est le reflet d’une hypotonie sphinctérienne de repos et donc, généralement, d’une atteinte du sphincter interne. L’incontinence anale active entraîne une incapacité à différer le moment de l’évacuation des selles, alors même que la sensation de besoin est perçue. Elle est le reflet d’une atteinte du sphincter externe. L’importance de l’incontinence anale est évaluée à l’aide de scores. Le score de gravité le plus utilisé est le score de la Cleveland Clinic, dit de Jorge et Wexner [3].

Étiologies

La cause est évidente

  • incontinence anale active du fait des selles liquides : MICI, entérite radique …
  • Délai de retenue raccourci avec syndrome rectal souvent associé : rectite radique ou ulcéreuse, tumeur rectale
  • Trouble de la perception rectale induit par un fécalome ou certaines affections neurologiques : SEP, AVC, démence, Parkinson, diabète
  • Lésions sphinctériennes :
    • chirurgie anale (fistules, fissure, hémorroïdectomie)
    • déchirure obstétricale de haut grade, même réparée en salle de travail. En post- partum, les séries sur les primipares montrent une incontinence anale dans 13 %, le plus souvent aux gaz [5] et une incontinence anale aux selles dans 1 à 2 % des cas [4-6]
  • Malformations opérées
  • Troubles de la statique patents : prolapsus total du rectum

La cause n’est pas évidente

Altération des capacités résistives du périnée par étirement des nerfs périnéaux : constipation chronique avec efforts de poussée, multiparité, macrosomie, forceps, déchirure, expression abdominale, obésité, hystérectomie

Altération périnéale suite à une chirurgie pour prolapsus urologique ou gynécologique.

Examen périnéal

L’inspection de la marge anale et du périnée permet d’identifier des lésions cutanées périanales (suite à un suintement), une perte ou asymétrie des plis radiés, des cicatrices périnéales, une béance anale.

L’inspection périnéale recherche une descente périnéale postérieure (disparition du pli interfessier) et/ou antérieure, une cystocèle, une hystérocèle, voire un prolapsus rectal.

Le toucher anal et rectal au repos et lors des efforts, évalue le tonus anal de repos, la qualité de la contraction volontaire, la relaxation sphinctérienne lors des efforts de poussée, recherche une tumeur anale ou rectale, un rectum plein de matières.

L’anuscopie vérifie la muqueuse rectale et recherche un prolapsus rectal intracanalaire.

L’examen neurologique va vérifier l’existence du réflexe cutanéo-sphinctérien et clitorido-sphinctérien chez la femme. La sensibilité cutanée étant vérifiée, leur absence doit conduire à la recherche d’une lésion neurologique.

Examens complémentaires

Ils sont demandés en fonction de l’interrogatoire, de l’examen clinique et de la prise en charge thérapeutique envisagée [7].

La manométrie anorectale doit permettre de quantifier le tonus anal de repos, la qualité de la contraction anale volontaire, les réflexes anorectaux et donne des informations sur la fonction du réservoir rectal. Les résultats de cet examen doivent servir de base pour orienter la rééducation anorectale [8].

L’électromyographie, pratiquée par le neurophysiologiste, est utile uniquement si l’on suspecte une maladie neurologique périphérique.

L’écho endoscopie anale, réalisée le plus souvent par les gastroentérologues à l’aide d’une sonde rigide de préférence, permet de mettre en évidence une lésion des sphincters interne et externe avec une sensibilité de 95 à 100 % et une spécificité de 83 à 100 % [9].

L’imagerie du périnée est envisagée lorsque l’on évoque un trouble de la statique périnéale, notamment si un traitement chirurgical est envisagé : colpocystodéfécographie ou IRM dynamique (déféco-IRM) en fonction de l’expertise locale et la disponibilité des opérateurs ou des machines.

La coloscopie est indiquée surtout en cas de trouble du transit associé.

Traitements de première intention

Adaptés aux formes mineures et appliqués au début de la prise en charge des formes sévères.

Traitement médical

Il peut suffire chez 61 % des malades incontinents [10] et repose sur la correction des troubles du transit intestinal, et l’obtention d’une bonne vidange rectale.

Bouchon anal

Il est inefficace en cas de diarrhée, il peut être utile surtout pour les patients qui redoutent les sorties en raison de leur incontinence. Le plus utilisé est le persisteen obtal.

Biofeedback

L’examen permettant d’établir un programme de biofeedback est la manométrie anorectale. Il est fondamental d’associer à la rééducation périnéale, une rééducation de la sangle abdominale et de la respiration. Les résultats publiés donnent un taux de succès qui varie entre 50 et 80 %. Plusieurs analyses restent réservées [1]. Une étude plaide la supériorité de la rééducation sur le traitement médical seul, mais en recommandant des séances d’entretien à moyen terme [2]. Il doit être réalisé par des kinésithérapeutes formés à cette technique.

Electrostimulation

L’efficacité de l’électrostimulation, anale ou vaginale, n’est pas prouvée [3-5]. Elle est très utilisée en se servant d’un stimulateur portatif – préférer des courants de basse fréquence (10 Hz) à somme nulle. Les patients ont une sensation subjective de meilleur contrôle.

Stimulation du nerf tibial postérieur (TENS) 

illustrée dans un travail préliminaire avec 60 % d’amélioration [6]. L’avantage de cette technique est sa simplicité de mise en oeuvre et son faible coût. Elle complète bien le biofeedback. Les résultats cliniques doivent cependant être confirmés et d’autres options thérapeutiques envisagées chez les patients non répondeurs après 3 mois.

Traitements de seconde intention

Traitement chirurgical

incontinence-analeLa difficulté est d’évaluer en préopératoire la part de l’anomalie mise en évidence dans l’incontinence, car sa constatation ne signifie pas qu’elle soit à l’origine du symptôme. Les patients doivent être informés de cette possibilité.

Prolapsus total extériorisé du rectum : 75 % des sujets opérés améliorés avec un niveau de preuve faible [7].

Neuromodulation des racines sacrées : le principe est d’implanter une électrode reliée à un sytème de stimulation provisoire au niveau de la racine sacrée S3 pendant une période test de 21 jours. Si le test est positif (plus de 50 % d’amélioration du score d’incontinence anale), le dispositif sera implanté. Les résultats sont positifs pour environ 80 % des patients, avec une amélioration des symptômes et de la qualité de vie [8]. La Haute Autorité de Santé vient de donner un avis favorable à son remboursement dans le cadre de l’incontinence anale : les indications doivent être posées par des équipes pluridisciplinaires, spécialisées :

incontinence fécale sévère après échec des traitements traditionnels sur un sphincter anatomiquement correct. De nombreux centres en France hospitaliers et privés pratiquent la technique, offrant ainsi une bonne couverture sur le territoire pour l’accès à la technique.

Réparation du sphincter externe : pour le sphincter externe si rupture < 120°. Les résultats se dégradent avec le temps (environ 50% à 5 ans).

Graciloplastie : n’est plus réalisée en raison de son manque d’efficacité dans cette indication.

Sphincter anal artificiel : ce matériel n’est plus disponible en France après avis de l’HAS depuis juin 2010.

Stomie terminale définitive : s’adresse à des patients en échec thérapeutique. Le taux de complications n’est pas négligeable, mais une stomie bien appareillée permet d’envisager une réinsertion sociale.

Lavement antérograde par une cæcostomie continente (intervention de Malone) : permet d’obtenir un contrôle des fuites anales et une amélioration de la qualité de vie chez la plupart des patients, particulièrement en cas d’incontinence anale associée à une constipation secondaire ou à une affection neurologique ou malformative [18]. Un dispositif percutané par voie endoscopique est disponible et mérite d’être évalué.

Prévention de l’incontinence anale

Elle est essentielle et repose sur le traitement de la constipation et de la dyschésie, et le recours à une césarienne en cas de lésion sphinctérienne préexistante, connue.

Conclusion

L’incontinence anale est une pathologie fréquente qu’il faut savoir dépister du fait d’une sous-déclaration des patients. Elle dégrade sévèrement la qualité de vie. Le rôle du médecin généraliste dans le dépistage de cette pathologie est capital. L’examen clinique et l’interrogatoire sont souvent suffisants pour déterminer le mécanisme principal de l’incontinence anale. Les examens de première ligne sont l’échographie endoanale et la manométrie anorectale. Le traitement de première intention est dominé par la prise en charge du transit intestinal qui peut être entamée dans la majorité des cas sans examen complémentaire préalable et le biofeedback. En cas d’échec à ces règles simples, il faut adresser le patient dans un centre de périnéologie car de nombreuses techniques peu invasives sont disponibles pour apporter à ces patients une bonne qualité de vie.Les associations thérapeutiques sont la clé du traitement de l’incontinence anale. La prévention associe : la rééducation du post partum, le traitement des constipations chroniques sévères, la prise en charge chirurgicale prudente des maladies proctologiques.

Références

  1. Denis P, Bercoff E, Bizien MF, Brocker P, Chassagne P, Lamouliatte H, et al. Prevalence of anal incontinence in adults. Gastroenterol Clin Biol 1992;16:344-50.
  2. Damon H. et al. Prevalence of anal incontinence in adults and impact on quality of life. Gastroenterol Clin Biol 2006; 30: 37-43
  3. Jorge JM, Wexner SD. Etiology and management of fecal incontinence. Dis Colon Rectum 1993;36:77-97.
  4. Sultan AH, Kamm, Hudson CN, Thomas JM, et al. Anal-sphincter disruption during vaginal delivery. N Engl J Med 1993;329:1905-11.
  5. Abramowitz L, Sobhani I, Ganansia R, et al. Are sphincter defects the cause of anal incontinence after vaginal delivery? Dis Colon Rectum 2000;43:590-8.
  6. Zetterström JP, Lopez A, Anzen B, et al. Anal incontinence after vaginal delivery: a prospective study in primiparous women. Br J Obtet Gynaecol 1999;106:324-30.
  7. Rao SS. A balancing view: Fecal incontinence: test or treat empirically – which strategy is best? Am J Gastroenterol 2006;101:2683-4 .
  8. Bharucha AE. Pro: Anorectal testing is useful in fecal incontinence. Am J Gastroenterol 2006;101:2679-81.
  9. Sultan AH, Kamm MA, Talbot IC, Nicholls RJ, Bartram CI. Anal endosonography for identifying external sphincter defects confirmed histologically. Br J Surg 1994;81:463-5.
  10. Demirci S, Gallas S, Bertot-Sassigneux P, Michot F, Denis P, Leroi AM. Anal incontinence: the role of medical management. Gastroenterol Clin Biol 2006;30:954-60.
  11. Norton C, Cody JD, Hosker G. Biofeedback and/or sphincter exercises for the treatment of faecal incontinence in adults. Cochrane Database Syst Rev 2006;3:CD002111.
  12. Guillemot F, Bouche B, Gower-Rousseau C, Chartier M, Wolschies E, Lamblin MD, et al. Biofeedback for the treatment of fecal incontinence. Long-term clinical results. Dis Colon Rectum 1995;38:393-7.
  13. Lehur PA, Leroi AM. Anal incontinence in adults. Guidelines for clinical practice. National French Gastroenterology Society. Gastroenterol Clin Biol 2000;24:299-314.
  14. Leroi AM, Karoui S, Touchais JY, Berkelmans I, Denis P. Electrostimulation is not a clinically effective treatment of anal incontinence. Eur J Gastroenterol Hepatol 1999;11:1045-7.
  15. Naimy N, Lindam AT, Bakka A, Faerden AE, Wilk P, Carlsen E, et al. Biofeedback vs. electrostimulation in the treatment of postdelivery anal incontinence: a randomized, clinical trial. Dis Colon Rectum 2007;50:2040-6.
  16. Queralto M, Portier G, Cabarrot PH, Bonnaud G, Chotard JP, Nadrigny M, et al. Preliminary results of peripheral transcutaneous neuromodulation in the treatment of idiopathic fecal incontinence. Int J Colorectal Dis 2006;21:670-2.
  17. Lazorthes F, Gamagami R, Cabarrot P, Muhammad S. Is rectal intussusception acause of idiopathic incontinence? Dis Colon Rectum 1998;41:602-5.
  18. Worsoe J, Christensen P, Krogh K, Buntzen S, Laurberg S. Long-term results of antegrade colonic enema in adult patients: assessment of functional results. Dis Colon Rectum 2008;51:1523-8.

Cette fiche est destinée aux professionnels de santé dans le but de mieux appréhender la prise en charge des patients avec une incontinence anale.

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