Principes du traitement des lésions ano-périnéales (LAP) de la maladie de Crohn

  • Les LAP sont des manifestations fréquentes, observées chez plus de 50 % des malades
  • Elles peuvent précéder la maladie luminale dans près de 30 % des cas
  • Rarement isolées, elles sont associées à une maladie luminale souvent rectale dans 75 à 92 % des cas
  • Classiquement, on distingue trois types de lésions élémentaires : les fistules, les ulcérations et les pseudo-marisques inflammatoires
  • Les LAP peuvent se classer selon trois sous groupe :  
    • Les lésions primaires ano-périnéales (type I) : fissures, ulcères et pseudo-marisques inflammatoires traduisant l’activité inflammatoire de la maladie et évoluant au rythme de l’atteinte luminale
    • Les lésions ano-périnéales secondaires fistulisantes (type II) : fistules et abcès secondaires le plus souvent aux complications des lésions primaires apparaissant lors des poussées et pouvant persister en dehors des poussées
    • Les lésions ano-périnéales secondaires mécaniques (type III), comme les sténoses correspondant souvent à des lésions cicatricielles, survenant en dehors des poussées inflammatoires et évoluant pour leur propre compte
       
  • La prise en charge médico-chirurgicale des LAP demande une évaluation correcte des lésions par un examen clinique minutieux parfois sous anesthésie générale précédé selon les habitudes du praticien par une IRM pelvienne ou une échographie endo-anale en cas de suspicion d’abcès ou de fistule anopérinéale. La combinaison d’un examen clinique sous AG avec un des examens d’imagerie cités, permet d’obtenir une sensibilité et une spécificité de l’ordre de 100 %
  • À l’issue de ce bilan, la prise en charge doit s’envisager à la fois dans l’urgence en cas d’abcès (afin de soulager les symptômes du patient) mais également à plus long terme avec pour objectif d’épargner la fonction sphinctérienne et de cicatriser la maladie périnéale
  • La base du traitement dans la majorité des cas, est une combinaison d’un traitement médical et chirurgical faisant appel à un travail de collaboration entre le gastro-entérologue, le proctologue et parfois le chirurgien

Traitements des lésions ano-périnéales primaires

  • y La prise en charge des LAP primaires reste mal codifiée. Absence de recommandations Européenne (ECCO) ou Américaines (AGA) dans ces différentes situations

1) Les fissures et ulcérations anales

  • La prise en charge des ces lésions est en règle générale médicale
  • L’évolution spontanée des ulcérations ano-rectales rend la décision thérapeutique médicale parfois difficile. En effet, 50 % des fissures superficielles (classées U1) guérissent spontanément mais peuvent également s’aggraver et conduire à des sténoses, des fistules et des abcès
  • Les traitements locaux  
    • Il s’agit d’assécher les lésions par des colorants puis d’utiliser des pommades cicatrisantes soit à base de vitamines, soit d’acide hyaluronique. Ce traitement améliore souvent les symptômes mais n’est pas suffisant pour permettre une cicatrisation des lésions
    • Une série récente randomisée pilote avec le Tacrolimus en pommade a montré une amélioration des lésions sans obtenir toutefois une cicatrisation complète
       
  • Les traitements systémiques
    L’utilisation des traitements systémiques dans les LAP primaires se fait souvent par analogie avec la maladie ano-périnéale fistulisante. L’efficacité de ces traitements reste sous évaluée  
    • Les thiopurines sont utilisées en traitement d’entretien à partir de données rétrospectives montrant une efficacité dans presque la moitié des cas. Les corticoïdes et les salicylés sont inefficaces dans cette indication
    • La ciclosporine et l’infliximab sont les seules molécules évaluées dans les LAP primaires de Crohn. Dans une étude rétrospective française portant sur une large cohorte de 99 patients, l’IFX semble être bien toléré et efficace sur l’induction et le maintien d’une réponse clinique complète et sur la cicatrisation des lésions anales ulcérées. Le suivi à long terme (175 semaines) des patients en entretien montrait une réponse complète dans 72 % des cas. Ces résultats s’accompagnent d’une amélioration rapide des symptômes : douleur anale (78,2 %) et suintement (62,5 %)
       

Au vu des données actuelles, les patients présentant des ulcérations sévères, symptomatiques, dont le risque de fistulisation semble maximal doivent bénéficier d’un traitement par anti-TNF rapidement

2) Les sténoses anales

  • Deux types de sténoses : les sténoses rectales basses souvent longues et les sténoses anales courtes
  • Les sténoses longues du bas rectum peuvent être l’expression d’une maladie inflammatoire active qui pourrait être sensible à un traitement médical à base d’immunosuppresseur ou d’anti-TNF (données parcellaires dans la littérature)
  • Dans les autres situations, le traitement fait appel le plus souvent à une dilatation prudente sous anesthésie générale au doigt, à la bougie ou au ballon de dilatation. Il s’agit de lever les adhérences sans léser le sphincter interne chez ces patients à haut risque d’incontinence fécale à long terme. C’est donc un geste à faire réaliser par des proctologues expérimentés
  • Le traitement des sténoses combine souvent une prise en charge médicale et des séances de dilatation
  • En cas de récidive fréquente ou d’échec, une chirurgie non conservatrice pourra se discuter

3) Les pseudo marisques inflammatoires

  • Il s’agit de lésions en général persistantes et bénignes mais qui s’aggravent lors de poussées inflammatoires luminales de la maladie
  • Elles sont souvent asymptomatiques (86 %) et peuvent régresser spontanément dans 40 % des cas
  • Il n’y a pas de traitement médical spécifique. Dans certains cas particuliers, un geste chirurgical peut se discuter (excision ou exérèse)

Traitements des lésions fistulisantes

  • Dans les localisations ano-périnéales, les critères décisionnels ne reposent toujours pas sur des études contrôlées, mais sur la synthèse de consensus d’experts. Le consensus retenu est d’abord de drainer une suppuration si elle existe, puis de contrôler la maladie inflammatoire  
    • La chirurgie, lorsqu’elle est indiquée, doit intervenir en premier  
      • En présence d’un abcès, le premier geste thérapeutique doit être son évacuation dans un délai rapide. Les antibiotiques (métronidazole, cifloxacine) sont recommandés, mais en aucun cas suffisants. Une ou les fistule(s) associées doivent être drainées sur séton non serré dans le même temps opératoire
         
       

Plus généralement toute fistule complexe selon la nouvelle classification (AGA 2003) doit être drainée sur séton non serré dans un premier temps chirurgical

    • Le traitement médical doit être mis en place sans délai, soit au décours d’une chirurgie de drainage jugée satisfaisante par le chirurgien, soit d’emblée en l’absence avérée de suppuration. Il sera proportionnel à l’importance de l’atteinte inflammatoire ano-rectale  
      • Les anti-TNF, seul traitement dont l’efficacité est démontrée dans cette indication, sont indiqués de première intention devant :  
        • une atteinte inflammatoire de l’anus ou du rectum associée à un abcès évacué ou une fistule drainée
        • une atteinte ulcérée creusante anale ou du bas rectum, avec ou sans fistule associée
        • une ano-rectite ulcérée sévère, avec ou sans fistule associée
           
         

L’association de l’IFX à l’azathioprine chez des patients naïfs de tout immunosuppresseur pourra se discuter compte tenu du bénéfice démontré à 54 semaines dans les maladies luminales (SONIC)

    • Un immunosuppresseur plus classique (l’azathioprine en première intention) sera proposé en l’absence de critère de gravité, soit devant :  
      • une fistule complexe drainée sans atteinte inflammatoire
      • une atteinte inflammatoire ou ulcérée marginale ou périnéale épargnant le canal anal
      • une ano-rectite inflammatoire isolée, non ulcérée dans le canal anal
         
    • Les antibiotiques sont probablement utiles dans les premières semaines de traitement, associés à la chirurgie, aux anti-TNF ou aux immunosuppresseurs classiques

L’initiation de ce traitement médical repose sur le risque de voir une lésion évoluer vers une complication. Néanmoins, déterminerla frontière entre une ano-rectite inflammatoiremodérée et sévère, ou entre une fissure remaniée et une ulcération canalaire creusante peut s’avérer difficile. Dans le doute, il est probablement légitime de proposer des anti-TNF car :

a. seules ces molécules agissent rapidement et leur efficacité est démontrée

b. les complications ano-périnéales redoutées sont invalidantes et difficiles à traiter

c. cette attitude est en accord avec les objectifs thérapeutiques actuels de la maladie de Crohn

  • Une fois cette prise en charge médico-chirurgicale débutée, l’efficacité attendue doit être régulièrement évaluée de façon collégiale :  
    • par un examen clinique avec anuscopie (contrôle visuel facile sur les lésions inflammatoires)
    • une recto-sigmoïdoscopie peut être parfois utile
    • une IRM pelvienne est parfois nécessaire pour s’assurer de l’efficacité du drainage et de l’absence de collection résiduelle, en fonction de l’évolution des plaies chirurgicales et de la complexité initiale de la suppuration. Elle peut conditionner une éventuelle reprise chirurgicale rapide, et la planification des temps chirurgicaux ultérieurs souvent nécessaires
       

Conclusion

Dans les LAP fistulisantes, le traitement médical seul est rarement suffisant et doit s’inscrire dans une stratégie médico-chirurgicale dont l’objectif est une cicatrisation des lésions et une conservation de l’intégrité sphinctérienne essentielle pour une qualité de vie acceptable. La chirurgie des LAP de Crohn et en particulier des fistules est très différente de celle des fistules cryptogéniques ; elle relève donc de chirurgiens ou proctologues experts. Les anti-TNF sont une thérapeutique quasi incontournable dans la prise en charge de ces malades.

À l’inverse, les LAP primaires font souvent appel à une prise en charge médicale ou proctologique plus simple en première intention mais constituent un risque d’évolution vers une maladie de Crohn sévère, et doivent faire l’objet d’une surveillance régulière pour s’assurer de leur cicatrisation.

Annexe

  • Classification des fistules dans la maladie de Crohn selon l’AGA en 2003 :
  • La Fistule « simple » correspond à :
    une fistule basse trans-sphinctérienne inférieure, ou superficielle, ou inter-sphinctérienne basse avec un seul orifice externe, non abcédée, et l’absence de lésion rectale active ou de sténose ano-rectale
  • La Fistule est « complexe »si un des critères ci-dessus est non rempli.