Carence martiale et anémies dans les MICI

  • L’anémie est la complication extra intestinale la plus fréquente dans les MICI
  • Parmi les causes d’anémie dans les MICI, la carence en fer est la plus fréquente et reste souvent sous-estimée et mal traitée
  • La carence martiale peut être absolue (baisse des réserves en fer) ou fonctionnelle (suite à un syndrome inflammatoire)
  • La carence martiale et l’anémie ont un impact sur la qualité de vie des patients il est donc essentiel de diagnostiquer et de corriger rapidement cette carence martiale

Définitions de l’anémie selon l’OMS

  • Hémoglobine < 13 g/dl chez l’homme
  • Hémoglobine < 12 g/dl chez la femme et < 11 g/dl pour la femme enceinte
  • Anémie sévère : Hémoglobine < 8 g/dl

Conséquences cliniques de la carence martiale et de l’anémie

  • Diminution des performances physiques et cognitives
  • Fatigue, maux de tête, vertige, trouble du sommeil
  • Syndrome des jambes sans repos
  • Essoufflement, tachycardie, angor
  • Perte de cheveux, glossites, stomatites
  • Anorexie, nausée, trouble de la motilité digestive
  • Complications de la grossesse
  • Perturbation de la libido, aménorrhée

Causes d’anémies dans les MICI

  • Anémie ferriprive (fréquente)  
    • Les carences en fer peuvent être causées par :  
      • des hémorragies intestinales (causes fréquentes)
      • une absorption insuffisante (zones inflammatoires du duodénum et du jéjunum)
      • une inflammation chronique de l’intestin (impact sur l’absorption, le transport et le stockage du fer)
      • la réduction de la quantité de fer dans le régime alimentaire (restriction ou habitude alimentaire)   
  • Anémie inflammatoire (fréquente)  
    • l’inflammation chronique entraîne une baisse de la disponibilité du fer pour la production de globules rouges en perturbant la circulation du fer des cellules qui le stockent vers le sang. La quantité de fer disponible pour la synthèse est ainsi réduite, affectant alors la capacité de production des GR
    • la durée de vie des GR peut être réduite durant l’inflammation chronique      
  • Anémie par carence en vitamine B12 et acide folique (occasionnelle)
    Elle est le résultat d’une absorption insuffisante par l’intestin grêle au niveau supérieur et inférieur (surtout dans la maladie de Crohn), soit à cause de l’inflammation directe dans cette zone soit secondaire à une résection chirurgicale dans cette zone.
  • Anémie médicamenteuse (occasionnelle)  
    • La sulfazalasine et la mésalazine :  
      • trouble de l’absorption des folates
      • hémolyse et aplasie   
    • L’azathioprine et mercaptopurine :  
      • interfèrent avec l’érythropoïèse
      • peuvent induire également une macrocytose isolée non considérée comme pathologique      
  • Anémie hémolytique (exceptionnelle)  
    • Rare, souvent au décours de RCH avec pANCA positifs et parfois CSP associée   
  • Myélodysplasie  
    • Des cas on été rapportés dans la littérature   

Diagnostic de carence en fer et d’anémie dans les MICI

Les tests biologiques standards sont parfois insuffisants pour déterminer le stock en fer chez les patients avec une maladie inflammatoire comme les MICI

  • La mesure de l’hémoglobine  
    • Hb < 13 g/dl chez l’homme, < 12 g/dl chez la femme   
  • La microcytose et l’hypochromie suggèrent une carence en fer sans être spécifiques  
    • On peut l’observer aussi dans une inflammation chronique, une thalassémie
    • 40 % des patients avec anémie ferriprive dans les MICI sont normochromes normocytaires (exemple : traitement par AZA interférant sur le VGM)   
  • Le taux de ferritinémie et le coefficient de saturation de la transferrine (CST)  
    • Le dosage de la ferritine est l’examen de première intention pour rechercher une carence en fer. Une valeur de ferritine < 30 ng/ml reflète cette carence en l’absence d’inflammation
    • Néanmoins dans les MICI, cette valeur peut être normale ou augmentée alors que les réserves sont insuffisantes en particulier dans les états inflammatoires. Dans cette situation le dosage conjoint du coefficient de saturation de la transferrine peut être utile
    • En situation inflammatoire une valeur de ferritinémie < 100 ng/ml avec un coefficient de saturation de la transferrine < 20 % témoigne d’une carence en fer
    • Une standardisation des valeurs de référence est indispensable, notamment en fonction de l’âge, du sexe et de la présence d’un syndrome inflammatoire   
  • Les récepteurs solubles de la transferrine (RST)  
    • Il n’y a pas d’indication au dosage des récepteurs solubles de la transferrine en pratique courante (HAS) néanmoins, son taux augmente dans les carences ferriprives
    • Le rapport RST/log ferritine a été également proposé comme un paramètre sensible dans les MICI
Anémie ferripriveAnémie inflammatoireAnémie ferriprive
et inflammatoire
HémoglobineDiminuéeDiminuéeDiminuée
CSTDiminuéDiminuéDiminué
FerritinémieDiminuéeAugmentéeDiminuée ou normale
RSTAugmentéNormauxAugmenté
VGMDiminuéDiminué ou normalDiminué ou normal

Prise en charge d’une carence et d’une anémie ferriprive dans les MICI

L’objectif thérapeutique dans l’anémie ferriprive est de corriger l’insuffisance en fer afin de normaliser le taux d’hémoglobine et le stock en fer (ECCO statement 2B). Dans les MICI, l’apport de fer par voie IV entraîne une correction plus rapide des réserves en fer que l’apport oral (Grade A). L’apport IV permet ainsi de répondre aux objectifs thérapeutiques et devrait être la voie à privilégier.

Le taux d’hémoglobine devra progresser d’au moins de 2 g/dl en 4 semaines pour obtenir une correction efficace.

  • Conseil et adaptation diététique
  • Apport en fer par voie orale  
    • Uniquement chez les patients avec une anémie minime ou carence ferriprive sans anémie avec une maladie inactive et non intolérant au fer per os. La dose quotidienne n’excédera pas 100 mg (ECCO statement 2E et 2F)
    • L’observance est souvent diminuée par les effets secondaires de tolérance digestive et la durée du traitement. Dans les MICI plus de 25% des patients ne tolèrent pas le traitement et aggravent leur CDAI sous fer oral
    • Le contrôle de l’efficacité thérapeutique en cas de carence martiale sans anémie se fera 3 mois après le début du traitement avec pour objectif une ferritine > 100 ng/ml  
  • Injection de fer par voie intraveineuse  
    • En première intention dans les MICI actives, si hémoglobine < 10 g/dl, si utilisation d’EPO, ou intlérance au fer per os
    • En cas d’échec, d’intolérance ou de non observance du traitement oral
    • La nouvelle génération de fer IV permet d’administrer des doses de 1000 mg sur une séance en ambulatoire sur une durée courte, avec une efficacité rapide (étude FERGIcor) et une bonne tolérance
    • Un nouveau traitement IV sera envisagé si la ferritinemie chute en dessous de 100 ng/ml et/ou l’Hb en dessous de 12 ou 13 g/dl selon le sexe (attitude proactive). ECCO statement 3E, étude FERGImain   
  • Injection d’érythropoïétine  
    • L’utilisation de l’EPO dans la maladie de Crohn avec anémie ferriprive a fait la preuve de son efficacité en combinaison avec un apport en fer IV dans 2 études contrôlées randomisées
    • En pratique courante, l’utilisation de l’EPO se fait peu fréquemment et reste réservée à des patients avec une anémie < 10 g/dl qui ne répondraient pas après 4 semaines de traitement par fer IV   et une optimisation du traitement de la MICI (statement 4B)
  • Transfusions sanguines  
    • Le recours à la transfusion dans cette situation doit être réservé en cas d’échec des autres thérapeutiques ou si l’anémie est profonde < 7 g/dl et mal tolérée ou si le patient présente des risques (ECCO statement 4D). La transfusion doit être suivie d’une perfusion de fer IV

Proposition de conduite à tenir en pratique devant une anémie ferriprive des MICI

Exemple : utilisation simplifiée du Ferinject ferrique d’après l’étude FERGIcor (ECCO statement 2D)

500 mg ou 1 000 mg de Ferinject (carboxymaltose ferrique) par semaine jusqu’à la dose totale cumulée calculée selon le protocole simplifié

Hb g/dlDose totale fer si poids <70 KgDose totale fer si poids >= 70 kg
10 – 12/13(F/H)1 00 mg1 500 mg
7 à 101 500 mg2 000 mg

Évaluation du traitement et surveillance

  • Chez le patient asymptomatique, l’hémoglobine doit être évaluée au bout de 4 semaines et plus tôt chez le patient symptomatique afin de modifier la thérapeutique mise en route
  • Sous apport oral, il faudra obtenir une ferritinémie > 100 ng/ml, témoin d’une réserve en fer correcte
  • Par voie IV, il faut attendre 8 à 12 semaines après la dernière perfusion pour faire le dosage de la ferritinémie. Un contrôle trop précoce montrerait des chiffres de ferritinémie faussement élevés. Un nouveau traitement IV se fera si la ferritinémie chute en dessous de 100 ng/ml ou l’Hb en dessous de 12 et 13 g/dl selon le sexe (attitude proactive). ECCO statement 3E, étude FERGImain
  • La première année, une surveillance biologique se fera tous les 3 mois puis tous les 6 à 12 mois car la récidive est fréquente. (ECCO statement 3A)
  • Le delai d’apparition de la récidive d’anémie dépend des stocks de fer (reflétés par la ferritinémie). Une ferritinémie > 400 ng/ml en post traitement permet d’éviter les carences en fer dans les 1 à 5 ans. (ECCO statement 3D)

Références

  1. Gasche C. et al, Guidelines on diagnosis and management of iron deficiency and anemia in IBD, IBD, vol 13, 2007.
  2. Stein J. et al, Diagnosis and management of iron deficiency anemia in patient with IBD, Gastroenterology and Hepatology, nov 2010.
  3. Dignass A. et al. ECCO Guideline JCC 2015
  4. Abitbol V et al. Medicine (Baltimore) 2015 ; 94(26)