Plus de 300 gastro-entérologues, essentiellement nord-américains, ont participé à “Trends in IBD Therapy”. Au cours de ce symposium qui s’est déroulé du 27 au 29 août à Vancouver, les différents aspects de la thérapeutique des MICI ont été abordées : apports de la génétique, des facteurs environnementaux, thérapeutiques classiques et perspective d’avenir, prévention et traitement des complications osseuses, mais aussi place des thérapeutiques alternatives.
Apports de la génétique et des facteurs environnementals
La pathogénie des MICI soulève toujours autant de questions : multiplicité des études sur les anomalies génétiques constatées (linkage sur les sites de Chr 12 et Chr 16 par exemple), caractère extensif des lésions corrélées à HLA DR3, DQ2 ou encore sévérité des poussées liées à HLA DR103 (DP Jewell, Londres), nombreux travaux également sur les anomalies immunitaires qui confirment le rôle clé des T-cells et de la barrière muqueuse intestinale (C Fiocchi, Cleveland), études sur les facteurs environnementaux, en particulier rôle des bactéries (W Doe, Birmingham). Aucune application clinique ne peut se dégager actuellement de ces différents travaux qu’il s’agisse d’apprécier le risque génétique, le profil évolutif de la maladie ou encore de prévoir une éventuelle résistance aux différents traitements. Parmi toutes ces données on retiendra un chiffre: l’incidence des MICI est aujourd’hui évaluée à 20/100 000/an dans la population générale, l’incidence passe à 400/100 000/an chez les enfants dont un parent est atteint de MICI.
Le traitement de la rectocolite hémorragique
Vancouver n’a pas apporté de révolution ni même d’évolution notable dans la gestion thérapeutique de le RCH. Les stéréotypes thérapeutiques restent la règle.
A- LE TRAITEMENT DE LA POUSSEE (SB HANAUER, CHICAGO)
Le classicisme prévaut donc avec :
- dans les poussées minimes à modérées, la mésalazine reste la pierre angulaire soit en traitement local soit en traitement per os en rappelant que l’effet dose est franc per os beaucoup moins prononcé lors du traitement topique et que l’association mesalazine topique-corticoïde topique donne de meilleurs résultats que l’utilisation en monothérapie,
- dans les formes modérées étendues, dans les poussées sévères ou rebelles le recours à la corticothérapie reste la règle y compris dans les formes distales rebelles,
- les poussées sévères et les formes fulminantes nécessitent une hospitalisation pour alimentation parentérale, corticothérapie IV et surveillance rapprochée. L’échappement conduisant à la mise en route soit de la ciclosporine relayée par les immunosuppresseurs soit de la chirurgie ( règle des “three days rule”),
- les essais avec héparine et anti-TNF n’ont pas apporté de réponse positive dans la gestion du mégacolon toxique.
B- LE TRAITEMENT D’ENTRETIEN (J SCHÖLMERICH, REGENSBURG)
Il reste essentiellement à base de 5ASA et de salazopirine avec quelques points de détails :
- la méta analyse de la salazopyrine, lorsqu’elle est bien tolérée, est légèrement favorable à un moindre coût,
- l’obtention d’une rémission durable permettrait de réduire le risque carcinologique secondaire, avec comme corollaire de débuter le traitement dès la première poussée même pour les formes distales (dans ce cadre relais per os ),
- la durée du traitement d’entretien reste très débattu : au minimum 2 ans, peut-être à vie,
- l’azathioprine (AZA) pourrait peut-être trouver sa place en cas de résistance en alternative à la chirurgie et reste de règle en relais de la ciclosporine.
En revanche pas un mot sur la nicotine ou sur les essais en cours…
Le traitement de la maladie de Crohn
S’il apparaît un certain immobilisme en matière de gestion thérapeutique de la RCH, il en va tout autrement pour la maladie de Crohn (MC). Les travaux et perspectives abondent pour la MC.
A- LE TRAITEMENT DE LA POUSSEE (AH STEINHART, TORONTO):
La hantise de la corticothérapie classique, qui reste cependant la pierre angulaire du traitement de la poussée, conduit à la mise en place de nombreux protocoles thérapeutiques alternatifs avec, à la clef, quelques belles promesses à confirmer dont on peut retenir :
- Le budésonide : qui semble devoir être employée tôt, à dose efficace comme alternative dans les poussées minimes à modérées probablement non limitée à l’AMM française avec à venir des résultats encourageant d’association soit :
– avec les antibiotiques et notamment une bi-antibiothérapie (ciprofloxacine 1gr-metronidazole 250 mgx2)
– avec les immunosuppresseurs - Les antibiotiques
Les travaux se portent essentiellement sur l’association avec la corticothérapie classique ou alternative (cf supra) et sur 2 molécules (ciprofloxacine, le couple métronidazole-ornidazole). - L’infliximab (Remicade)
Indiscutablement la vedette de ces 2 journées l’infliximab, avec une efficacité clairement établie dans la MC fistulisante avec des taux de réponse jusqu’alors inégalés, possède également un potentiel très intéressant dans les poussées fortes à sévères (48 % de remissions à 4 semaines).Restent quelques questions sans réponse :
– dose optimale
– tolérance avec les risques du re-traitement qui en terme d’efficacité permet de recruter un certain nombre de patients réfractaires avec des taux de réponse grimpant à 70 %, à suivre donc de très près.
– coût estimé entre 12 et 18 000 F l’injection… - Quelques perspectives en cours d’évaluation :
– IL 10
– l’oligonucléotide anti-sens anti-ICAM-1 (ISIS 9125), inhibiteur de l’adhésion moléculaire. - La Thalidomide
LB Cohen et S Hanauer (Chicago) ont présenté les premiers résultats d’un essai en ouvert avec la Thalidomide dans le traitement de formes réfractaires de Maladie de Crohn. L’action de la Thalidomide pourrait s’expliquer par sa capacité à inhiber la production de TNF. Une série de 22 patients (16 hommes, 6 femmes) présentant une forme réfractaire de MC (9 patients avec une forme active CDAI >200 de Crohn iléo-colique et 13 patients avec une atteinte péri-anale fistulisante) ont été inclus dans cet essai . Une contraception vigilante a été associée chez les femmes en raison du risque tératogène de la Thalidomide. Le schéma thérapeutique comprenait une administration de 200 à 300 mg par jour de Thalidomide pendant 3 mois. L’effet du traitement était apprécié à 4 et 12 semaines par l’évolution du CDAI et de l’Index d’Activité Clinique Global. Dans cette courte série : aucun effet indésirable grave n’a été retenu (mise à part quelques neuropathies périphériques et une réaction de type allergique). - Déception confirmée pour :
la mesalazine dont les indications se restreignent comme une peau de chagrin,
la ciclosporine dont l’utilisation se limite au traitement :
– du pyoderma gangrenosum
– de quelques formes fistulisantes coliques
Le challenge des années à venir est de déterminer la thérapeutique d’induction optimale pour chaque patient en temps qu’individu unique.
B- LE TRAITEMENT D’ENTRETIEN (P RUGEERTS LOUVAIN)
Après avoir rappelé l’absence d’efficacité de la salazopyrine, des 5 ASA et de la coiticothérapie classique dans la prévention des rechutes, P Rugeerts a rappelé que les molécules de référence dans le traitement d’entretien de la MC restent le couple AZA/6MP, le méthotréxate (MTX) devant être réservé aux échecs ou intolérances des précédents en notant que la forme orale n’a guère été utilisée, que la posologie reste fluctuante de 12,5 à 25 mg par semaine avec un seuil de toxicité à 1,5 gr.
L’infliximab semble avoir des résultats très prometteurs à 1 an avec une efficacité maintenue et une tolérance semblant satisfaisante. De plus larges séries avec des doses et une périodicité restant à établir sont nécessaires pour affirmer définitivement cette supériorité.
L’efficacité des huiles essentiels de poissons reste très débattue avec des résultats pour le moins contradictoires. Le métronidazole dont l’efficacité est probable dans la prévention se heurte à sa toxicité neurologique.
Le cas particulier de la prévention après chirurgie évolue là encore vers une limitation de l’indication des 5 ASA, la tendance actuelle allant vers l’utilisation d’associations diverses
- antibiotiques-immunosuppresseurs
- budésonide-immunosuppresseurs
- budésonide-antibiotiques
Au total une attitude simpliste pourrait proposer :
- pour les patients en rémission :
- totalement asymptomatiques : abstention
- si poussée sévère ou en cas de rechute : AZA puis MTX à 12,5mg/sem puis Anti-TNF à 5 mg/kg
- en prévention post-chirurgicale :
- si sténose : abstention
- pour les autres : ornidazole ou AZA/6MP
Les perspectives
Les recherches actuelles s’orientent dans 3 directions :
- les protéines de l’inflammation avec les 3 familles de cytokines (S Targan, Los Angeles) :
– cytokines pro-inflammatoires (IL1, IL6, IL8, TNF alpha) et anti-inflammatoires (IL10, IL4, IL 1ra.TGF beta)
– cytokines immunorégulatrices de type I (IL2, IFN gamma) et de type II (IL4, IL5 et IL13)
chimiokines de type CXC et CC - sur l’activation des sous-populations lymphocytaires et sur la perte de leur système de régulation notamment de l’apoptose (S Van Deventer, Amsterdam)
- mais également des études géno et phénotypiques (G Wild Montréal) dont les buts sont à terme de :
– définir des sous populations homogènes de patients
– démasquer de nouvelles cibles génomiques thérapeutiques
– définir les stades des différentes présentations cliniques de la maladie
– enfin de prévoir la réponse et d’adapter les différentes thérapeutiques
Les perspectives thérapeutiques font envisager le recours :
- soit à des traitements combinés associant :
- anti TNF et Anti-IL 1-2 et anti-IL8
- anti TNF et IL10
- soit à des traitements séquentiels de type :
- anti TNF puis immunosuppresseurs
- anti TNF puis anti IL 1-2, IL 10, anti-Smirf….
Ces perspectives brillantes sur l’après ne doivent cependant pas faire oublier que le bing-bang immunitaire est sous la dépendance d’un facteur déclenchant probablement d’origine bactérienne d’où l’utilité éventuelle des probiotiques défendu avec ardeur par M Campiéri (Bologne). Les lactobacilles pouvant contribuer au maintien en rémission des patients atteints de RCH. Des travaux de plus en plus nombreux mettent en évidence le rôle de la flore intestinale comme facteur environnemental déterminant dans le déclenchement des poussées de MICI. Une nouvelle préparation le VSL 3 contient 300 billons/g de bactéries lyophilisées provenant de 4 souches de lactobacilles, 3 souches de bifidus et une souche de streptococcus salivarius subsp. Thermophilus. Dans un premier essai en ouvert (réalisé à la dose de 6g/j pendant 3 à 12 mois, chez 20 patients présentant une allergie ou une intolérance à la Salazopyrine ou aux 5-ASA), le maintien en rémission a pu être obtenu chez 75% des patients dans cette première étude. Dans une deuxième étude contre placebo menée chez 40 patients atteints de formes chroniques de pouchites mis en rémission après un mois d’antibiotique, le VSL 3, donné à la dose de 6 g/ j pendant 9 mois, a permis un maintien de la rémission chez 17/20 patients recevant le VSL 3 contre 0 dans le groupe placebo. Ces résultats doivent être confirmés, mais pourraient présenter un intérêt dans ce groupe particulier de patients présentant une pouchite.
Parmi les astuces thérapeutiques signalons :
une méthode novatrice de traitement non chirurgical des sténoses anales de Crohn rapportée J Saibil (Toronto). A partir d’une petite série de 9 malades présentant des sténoses sévères anales (diamètre maximum du canal compris entre 4 et 5 mm ), l’auteur propose d’associer des injections de Triamcinolone à la dose de 40 mg par injection, réparties en 4 points au niveau de la sténose , suivies de séances de dilatation à la bougie de Maloney. L’avantage de cette corticothérapie locale serait de faciliter les séances de dilatations, d’obtenir des dilatations de calibres plus larges que celles obtenues sans corticoïdes et enfin d’espacer les séances de dilatations pour maintenir le résultat tout en diminuant leur algicité .
La maladie de Crohn de l’enfant
Si la MC n’est pas rare chez l’enfant, les problèmes diagnostiques et thérapeutiques y sont plus complexes chez que l’adulte en particulier par les difficultés de réaliser des examens invasifs, que l’on préfère éviter à cet âge. Dans cette perspective l’équipe de E Seidman (Montréal) propose une triple approche des ces patients. En ce qui concerne le diagnostic : il propose l’utilisation concomitante des dosages des P-ANCA et des ASCA (anticorps anti Saccharomyces cerevisiae) qui permettraient d’aboutir à une forte présomption de diagnostic de Crohn avec près de 100 % de spécificité en cas de positivité conjointe des IgA et IgG ASCA et à une forte remise en question du diagnostic en cas de double négativité des P-ANCA et ASCA.
Des retards pubertaire et staturo-pondéral sont souvent constatés chez des enfants atteints de MC. Trois garçons atteints de forme sévère de MC ont été traités par J Hencker pendant 2 ans à la dose de 1 U/kg/semaine. Seul un d’entre eux avait une sécrétion inférieure à la normale d’hormone de croissance lors de l’entrée dans l’essai. Les 3 pré-adolescents ont tiré bénéfice du traitement en rattrapant de façon significative leur retard d’âge osseux et leur taille. Le mécanisme d’action dans ce cas précis de l’hormone de croissance reste non élucidé. En effet on sait que les retards de croissance constatés dans la maladie de Crohn ne sont pas en rapport avec une hyposécrétion d’hormone de croissance (ce que confirme cette série : 2 normo-sécrétants sur 3) mais sont le plus souvent dus à une insuffisance d’apports caloriques par rapport aux dépenses énergétiques propres à cet âge.
MICI et OS : Prévention et traitement
Quarante à cinquante pour cent des patients porteurs de MICI ont une réduction de leur masse osseuse quelque soit la thérapeutique utilisée. Le risque de fracture est multiplié par 1,5 chez l’homme, par 1,38 chez la femme et ceci dans toutes les classes d’âge. Ce risque fracturaire est d’autant plus important qu’il existe des facteurs associés : corticothérapie, carence hormonale, manque d’activité physique, apports calciques insuffisants (les patients porteurs de MICI ont souvent une consommation inférieure à la population générale : 700 mg/j contre 1000 à 1500 mg/j), tabagisme, consommation excessive d’alcool.
Moins de 15 % des gastro-entérologues nord-américains déterminent la masse osseuse de leurs patients. CN Bernstein (Winnipeg) estime que la détermination n’est à envisager que si celle-ci doit être utile au médecin. Les marqueurs sériques (ostéocalcine) ou urinaires (D-Pyridoline) étant peu fiables, il est préférable de leur préférer la densitométrie osseuse.
Le traitement, mais surtout la prévention de la déminéralisation osseuse est fondamentale. Cinquante pour cent des gastro-entérologues nord-américains font un traitement préventif. Celui-ci repose sur la suppression des facteurs de risque (amélioration des apports calciques, hormonothérapie substitutive, reprise de l’activité physique, arrêt du tabagisme, réduction de la consommation de boisons alcoolisées, diminution de la corticothérapie). A Tenenhouse (Montréal) estime que tout patient porteur de MICI devrait avoir , au moment du diagnostic, une détermination de sa masse osseuse et que cette détermination devrait être répétée dès qu’un facteur de risque apparaît. En cas de déminéralisation, l’utilisation de diphosphonate est indispensable, la prescription est faite par la moitié des gastro-entérologues nord-américains, l’autre moitié préférant l’avis du rhumatologue. Le risque de complication osseuse favorisée par la corticothérapie est un élément essentiel pour le gastro-entérologue nord-américain puisque plus de 50% informent leur patient de ce risque, près de 30% le font même par écrit. RM Carter (Edmonton) a insisté sur la nécessité de fournir cette information et d’obtenir le consentement éclairé des patients puisque plusieurs procès ont vu des gastro-entérologues lourdement condamnés par les tribunaux pour information insuffisante. Cette crainte des complications de la corticothérapie semble manifestement un frein thérapeutique chez nos collègues outre-atlantique. Le résultat à long terme des nouveaux corticoïdes à faible biodisponibilité sur le métabolisme osseux résoudra peut être ces problèmes.
Les thérapeutiques alternatives
La France n’a pas la prérogative des thérapeutiques alternatives (homéopathie, phytothérapie, vitaminothérapie, ostéopathie.), 30 à 50% des patients nord-américains porteurs de MICI les utilisent (souvent à la suite d’échec ou d’effet secondaire des thérapeutiques habituelles), le plus souvent à l’insu de leurs médecins (38% le signalent à leur médecin, 35% des médecins demandent à leur patient s’ils utilisent ces traitements). Cet évolution est manifestement favorisée par l’essor d’Internet. Les patients y recueillent de multiples informations (plus ou moins sures et efficaces) sur les nombreux sites qui se développent chaque jour. Soixante pour cent des gastro-entérologues nord-américains confirment que leur patient utilisent Internet pour s’informer sur leur maladie.
M Miller (New York) a montré que la phytothérapie a pourtant peut être un avenir dans le domaine des MICI. Deux herbes sud-américaines, le Cat’s Claw et le Sangre de grado semblent pourvues d’une activité anti-inflammatoire. Chez l’animal, ces substances sont capables de permettre une réparation muqueuse et une régression des gastrites et entérites induites par les AINS. Mais avant de conclure à une éventuelle activité chez l’homme (comme l’affirment certains sites Internet), il est indispensable de promouvoir des études cliniques.
Les MICI restent encore bien mystérieuses mais il est évident que ces derniers mois de grand progrès ont été réalisés en particulier dans le traitement de la Maladie de Crohn, à la fois dans les formes modérées que dans les formes sévères. L’avancée des recherches laissent augurer pour nos patients un avenir un peu meilleur, de nombreux essais thérapeutiques sont actuellement lancés dont nous attendons avec impatience les résultats.