Lettre mensuelle n°45 – Janvier 2015 | Commission Thérapies complémentaires et pratiques innovantes

Commission Thérapies complémentaires et pratiques innovantes

La commission « Thérapies complémentaires et pratiques innovantes » a été créée au sein du CREGG.

Les fondamentaux

Il est maintenant admis que l’activité médicale doit passer par plus de pluridisciplinarité et de transversalité [1]. Pour cela, il faut privilégier le travail en équipe et aux côtés des classiques professionnels de santé pourraient intervenir : anthropologues, artistes, bioéthiciens, chimistes, historiens, juristes, géologues, mathématiciens, philosophes, physiciens, etc. sans oublier les associations de malades.

De même, la prévention doit être mieux reconnue et la prise en charge de l’homme sain développée pour conserver le plus longtemps possible santé et bien-être.

C’est à ce prix que des économies de santé pourront également être faites. Encore faut-il accepter une évolution sur le long terme.

Enfin, si la rigueur scientifique, l’éthique et l’évaluation restent les maîtres-mots de toute démarche physiologique ou médicale, l’innovation pourrait faire relativiser certains dogmes comme celui du principe de précaution par exemple [1].

En rappelant le souvenir de Galilée et d’Erasme, il me plaît d’énumérer quelques citations :

« On ne fait de découverte scientifique que dans un moment de soudaine irrationalité. »

Erwin Schrödinger
Nobel Phys. 1933

« Toute vérité passe par trois phases :

  • Dans la première, elle est ridiculisée ;
  • Dans la deuxième, elle est critiquée avec violence.
  • Dans la troisième, elle est acceptée comme une évidence. »

Schopenhauer

« Il faut désirer interroger le passé pour comprendre le présent et imaginer le futur ».

Nuccio Ordine [2]

 

« Si vous fermez la porte à toutes les erreurs, la vérité restera dehors ».

R. Tagore [3]
cité par Marc Vella [4]

Enfin, n’oublions pas que la médecine est un art [5] et qu’à ce titre, la part « artiste » présente chez tout médecin, peut à certains moments justifier doute sinon rébellion vis-à-vis de l’institution.

Des faits viennent étayer ces manières de penser.

Aux USA, la moitié des malades ont recours à des médecines dites alternatives.

L’Académie Nationale de Médecine (ANM) l’a retenue quatre fois sur dix.

Le 24 mai 2014, à la suite d’un observatoire, l’Association François Aupetit (AFA) (MICI), juge nécessaire de « comprendre » ces médecines complémentaires.

Par conséquent, s’il est légitime de rester critique, il ne faut pas être obtus et l’objectif raisonnable serait d’admettre qu’à côté d’une médecine dite classique, existent des thérapies complémentaires, l’association des deux pouvant déboucher vers une médecine intégrée.

L’excellent document passé sur Arte cet été « Mon médecin indien » où Thomas Tursz découvre grâce à l’une de ses patientes la médecine ayurvédique en Inde en témoigne.

Les thérapies complémentaires

Historique

Elles ont toujours existé. Il n’est qu’à lire les écritures saintes ou plus près de nous le dernier livre d’Emmanuel Carrère [6]. Anthropologues, ethno-pharmacologues, pharmaciens, tiermondistes de tous horizons et de nombreux collègues les ont rencontrées et parfois pratiquées.

Le Centre d’Analyse Stratégique (CAS) en recommande une évaluation.

L’ANM, après deux ans de travail, la lecture de 90 références et l’audition de douze personnalités, a présenté son rapport le 5 mars 2013 [7].

Devant l’immensité du domaine, quatre thérapies seulement, les mieux documentées sont retenues : acupuncture, ostéopathie, chiropraxie, hypnose, tai-chi et qi-gong.

Dans ce rapport, elles sont décrites, évaluées selon les indications mais dans l’ensemble, le jugement est assez critique.

L’effet placebo est souvent mis en avant. Le caractère souvent holistique comme l’a fait remarquer Thomas Tursz dans son émission, est cité. Mais n’est-ce pas là une forme de relation médecin / malade que trop de technicité a fait perdre ?

C’est dans des thérapies telles que l’homéopathie et la médecine quantique que cette relation est une constante appréciée des malades et que la pratique médicale dans son ensemble, se doit de retrouver.

La réglementation, la formation et les conditions d’exercice sont analysées par discipline :

  • L’acupuncture n’est pas réglementée ; il existe une jurisprudence, des diplômes interuniversitaires (DIU). Médecins et sages-femmes la pratiquent. A noter, qu’en Chine, elle ne représente que 10 % de l’activité de soins.
  • La médecine manuelle : la loi Kouchner de 2002 a vu une multiplication des ostéopathes. L’exercice d’une même activité par des professionnels de formations différentes a posé des problèmes qui devraient s’atténuer à la suite du décret publié en septembre 2014, relatif à l’agrément des établissements de formation en ostéopathie.
  • L’hypnose n’est pas réglementée ; il existe une jurisprudence, des DIU. Médecins et sages-femmes la pratiquent. Les formateurs sont des médecins généralistes, des psychiatres, certains spécialistes, des chirurgiens dentistes, des infirmières.

Enfin, des recommandations sont émises :

  • Les hôpitaux, CHU entre autres s’ils doivent être le lieu d’exemplarité de ces pratiques, ne peuvent être considérés comme garants de leur efficacité ;
  • Ces pratiques doivent être retenues comme complémentaires ;
  • Le travail en équipe doit toujours être privilégié.

Les autres thérapies complémentaires

Dans son rapport, l’ANM en cite 40, tirées de la liste MeSH (Medical Subject Headings) des thérapies complémentaires.

La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Mivilude) en dénombre 400.

Et déjà, Hippocrate disait « que l’alimentation soit ta première médecine ». On l’avait oublié, on le redécouvre.

La Littérature

Outre le rapport de l’ANM déjà cité. La revue de l’Inserm Sciences et Santé en fait état dans son numéro de mai-juin 2014.

FACT : Focus on Alternative and complementary therapies – University of Exeter.

HEGEL – Penser par soi-même, s’y implique toujours davantage avec un rappel des deux préoccupations que sont la validation et une éthique rigoureuse.

Les mises en garde

Le Conseil National de l’Ordre des Médecins et l’ANM bien sûr mais également et surtout les Miviludes.

En effet, la pratique du yoga et de la méditation par exemple, ont pu soulever une méfiance vis-à-vis de leurs adeptes.

Depuis leur création, toutes les religions se sont constamment préoccupé des malades et la crainte de voir des sectes s’impliquer dans les soins, est tout à fait justifiée.

Les travaux et les réflexions de Pierre Rabischong, mondialement connu dans le cadre des technologies biomédicales méritent d’être connus [8].

Les pratiques innovantes

Pour des raisons déjà énoncées en préambule, elles deviennent une nécessité.

Laurent Hénart, Yvon Berland et Danielle Cadet rédigent en 2011 un premier rapport, non exhaustif mais qui sert d’état des lieux et d’incitation à développer le concept.

La prise en charge du bien portant et la prévention y ont leur place.

En 2010 déjà, le sénateur Gérard Larcher avait créé le Cercle Santé Innovation, un “think tank“ destiné à rapprocher les acteurs de santé.

Depuis quelques années, Jane-Laure Danan, Présidente de la Fédération Européenne des Nurses œuvre également dans ce sens [9].

Les points essentiels à retenir de son travail sont :

  • Culture novatrice, transdisciplinarité ;
  • Sciences fondamentales, humaines et sociales ;
  • Climat de confiance entre les professionnels de santé ;
  • Climat de confiance entre praticiens et patients ;
  • Efficience : qualité et maîtrise des contenus ;
  • Rôle important de l’environnement et de l’écologie ;
  • Régulation obligatoire des pratiques ;
  • Enjeu éthique primordial.

Le futur de l’innovation

Il passe dès à présent par la santé connectée : les capteurs (poids, alimentation, T.A., rythme cardiaque, glycémie)

L’intelligence artificielle va développer les robots pensants : libération des tâches répétitives, robots de traduction etc.

Pour Laurent Alexandre, président de DNA vision, « les médecins seront les infirmiers de 2030 ».

Les ordinateurs ont facilité le séquençage de l’ADN. Google et Apple entrent dans le monde de la santé, des sciences du cerveau. Watson, programme informatique d’intelligence artificielle, développé par IBM est le premier système expert en santé. Il pourra traiter toutes les informations délivrées par tous les capteurs intégrés y compris ceux de nos portables… ce que l’homme ne pourra pas faire.

En 2030, la prescription ne sera plus faite par un médecin, il se contentera de lire l’ordonnance [10].

La formation des médecins… ou des professionnels de santé

L’étudiant devient acteur de sa formation. « Les universités ont conscience qu’elles ne sont plus seulement un  vecteur de connaissance mais un lieu où l’on doit aider à l’assimiler. »

François Germinet
Président de l’Université de Cergy Pontoise

La pédagogie sera donc au cœur du processus d’apprentissage. 

Les Massive Open Courses (MOOC) seront incontournables mais ne remplaceront pas la formation présentielle, avec les échanges possibles surtout si elles se pratiquent en petits groupes.

Les professionnels de santé devront maîtriser les technologies que sont : Nanotechnologie, Biotechnologie, Informatique et Cognitique (NBIC).

Conclusion

A une époque où la croissance démographique est inévitable, les flux migratoires toujours croissants, la mondialisation aidant, une nouvelle ère médicale se dessine.

L’euphorie du siècle dernier a vu la résistance aux antibiotiques se développer et l’infectiologie prendre une place prépondérante.

Dans tous les domaines, on peut dire qu’il y a eu surmédicalisation [11] que les thérapies complémentaires auraient peut-être pu éviter. Leur évaluation s’avère donc urgente dans un souci éthique et économique constant.

Par ailleurs, compte tenu d’une nécessaire multidisciplinarité dans l’exercice de la prévention et des soins et d’une insuffisance notoire de médecins, là encore, à condition de satisfaire les trois incontournables que sont évaluation, encadrement et éthique,  le développement de nouveaux métiers en santé et de pratiques innovantes est inéluctable.

Fernand Vicari
Président de la commission Thérapies complémentaires et pratiques innovantes

 

Références

  1. Kahn A., Pécresse V. Controverses. Université, sciences et progrès. NiL. Eds. Paris 2011
  2. Ordine N. L’utilité de l’inutile. Les Belles Lettres. Paris 2014
  3. Tagore R. Le jardinier d’amour. Gallimard 1980
  4. Vella M. Eloge de la fausse note. Ed. Le Jour, 2011, p.192.
  5. Michel FB. Arts et Médecine. HEGEL 2014;1:1.
  6. Carrère E. Le Royaume. P.U.L. Paris 2014
  7. Bentoux D, Couturier D, Menkès CN. Thérapies complémentaires – acupuncture, hypnose, ostéopathie, tai-chi – leur place parmi les ressources de soins. Bull Acad Natl Med 2013;3 :717-57.
  8. Rabischong P. Le constructeur. Edit Books on Demand, Paris 2013
  9. Danan JL, Boulangé M, Coudane H, Kanny G. De la nécessité d’innover à l’émergence de pratiques innovantes en santé. HEGEL 2014;3:279-86.
  10. Alexandre L. Les médecins seront les infirmières de 2030. Egora 2014 #29:12-14.
  11. Hadler NM. Malades d’inquiétude ? Diagnostic : la surmédicalisation ! Presse de l’Université de Laval 2014. 490 p.